Salle d’entrainement de la Commanderie,
Vision de la poignée qui s’enclenche.
Ses doigts s’enroulent autour de la poignée de Gardevie
Grincement de la porte de bois.
La rapière sort de son fourreau.
Porte qui s’ouvre à la volée
Elle se met en garde.
Alcoolique qui trébuche manquant de manger la poussière…
Varda l’observa stupéfaite. Abasourdie. Hébétée.
Sa lame retourna le long de sa jambe, pointe vers le sol.
Etait-ce une farce ? Elle avait pourtant été clair comme de l’eau de roche… Certes, elle ne s’était pas attendue à le voir arriver
parfaitement sobre mais de là à être si imbibé que les simples vapeurs liés à sa présence auraient pues vous rendre ivre, il y avait un monde.
- CoMMe dEmaNdé, jE sUiS Là.Ses paupières se baissèrent, ses narines expulsèrent un peu de cette valeur de rage qui commençait à bouillir dans tout son être.
Là haut dans son donjon intérieur, les cris lancinants et le claquement des chaînes qui s’entrechoquaient se mêlaient à une vague odeur de brûlée.
Elle demeura sans voix, le suivant du regard alors qu’il titubait jusqu’à elle. Les mots lui manquaient.
AlOrS ? Ma sEnTeNcE ?Silence pesant. Regard foudroyant.
La tempête est annoncée.
Gardevie retourna dans un sinistre sifflement se camoufler, bien à l'abri, dans son fourreau. L’heure n’avait pas encore sonnée pour elle.
La dragonne avait prévu ce soir là de lui donner une bonne leçon. Une bonne fois pour toute. Le confronter à son ivresse.
Lui prouver qu’il était incapable en l’état de soutenir une joute et de mener à bien sa mission.
Et quoi de mieux pour cela qu'un duel ?
Seulement voilà… Elle n'avait guère prévu de le retrouver dans un état plus lamentable encore que lors de sa première remontrance...
Sa fureur n’avait d’égale que l'assourdissant silence de la salle d'entraînement.
La Commandante avança lentement vers lui. Un pas après l’autre, laissant résonner l’écho de ses semelles sur le parquet. Elle était si proche que les relents éthyliques lui donnaient la nausée. Son regard inflexible glissa de sa tête vers ses pieds.
Un ivrogne. Un ivrogne dans un uniforme trop blanc et trop honorable pour lui.Son majeur se replia dans sa manche. Là, se trouvait toujours la dague de diamant, confisquée à la lionne. Il serait si simple de la faire chanter et d’en finir une bonne fois pour toute. Si simple de ranger cela avec le reste, dans ses oubliettes mentales. Faire disparaitre les cadavres, elle en avait l'habitude et elle pouvait remercier les longues années au service de Lioffel pour cela. Alors un de plus.
Elle resta ainsi silencieuse. Pensive. Perdue dans les coursives tortueuses de sa forteresse, à entendre hurler les spectres depuis les ténébreuses geôles.
Elle inspira profondément.
Prendre du recul.
Tout ceci était derrière elle désormais. Les fantômes demeureraient éternellement, reliques d'un passé qu'elle ne pouvait effacer mais les démons, solidement emprisonnés dans leur cellules inextricables ne pouvaient laisser filer que leurs viles paroles tentatrices.
Grimace de la Dragonne.
Serment fit irruption, tranchant l’air et laissant une fine éraflure sur la joue de Thony, unique manifestation extérieur de sa fureur, si ce n'était ses prunelles foudroyantes.
Un rapport de discipline.
C’était tout ce qu’il méritait. Tout ce cirque avait bien assez duré.
Elle rangea la dague et se détourna de lui. Son regard flamboyant se posa sur cette même fenêtre que quelques minutes auparavant, et un étrange calme s’insinua dans tout son être. Une douceur qu'elle voulut combattre par tous les moyens mais qui s'imposait, lentement, subtilement, infailliblement.
Tout comme l’image qui lui apparaissait.
Elle tenta de la chasser. Mais rien n'y fit.
Elle poussa un soupir, apercevant dans la mi-obscurité, la silhouette du jeune domestique appuyé contre une colonne.
Et une idée commença à germer dans son esprit.
Il n’était plus capable d'assurer la protection du Prince...
-Thony, votre rapière. Vous êtes suspendu. Claqua sa voix alors qu'elle faisait volte-face.
...Pourtant magnanimité fut le maitre-mot
- Vous serai affecté au service pour le restant de la soirée puisque vous aimez tant profiter du buffet.Un pas en avant. Juste assez pour que sa bouche puisse être à portée de son oreille et que ses paroles viennent en chatouiller le pavillon.
- Si vous vous montrez exemplaire, je passerai l’éponge sur ce malheureux incident. Sinon… Sinon, ce sera un Rapport de Discipline demandant votre exclusion de l'Ordre pour manquement à vos obligations.La sentence tomba comme un couperet. Il n'y aurait plus de seconde fois.
C’était maintenant ou jamais. Elle fit signe au domestique de les rejoindre et une fois celui-ci à portée de voix, reprit, d'un ton plus calme:
- Veuillez trouver une livrée à Monsieur et lui faire part de ses nouvelles prérogatives en tant qu'affecté au service, ce soir.A nouveau elle pivota sur elle-même, joignant ses mains dans son dos. Faisait-elle une erreur en refusant de l'isoler pour le restant de la nuit loin de tous les problèmes? Était-elle devenue
faible ou simplement plus
miséricordieuse ?
Une petite voix lui intimait de revenir sur sa décision.
Elle la chassa tel un moustique.
L'avenir n'était pas ce qui allait arriver mais ce qui allait être fait.
Si tout se passait bien,
ce qui était plus que douteux, ils obtiendraient peut-être ainsi des informations cruciales. Quoi de mieux qu'un simple serviteur, un simple plateau mouvant, pour obtenir quelques aveux intéressants ce soir ?
- Je ne vous ai laissé votre dague ni par omission, ni pour décoration, précisa-t-elle tout de même de sa voix toujours aussi glaciale qu'un blizzard birlais.
Offrir une chance de rédemption n’était pas synonyme de pardon.
Elle resta ainsi à fixer cette fenêtre.
Et le vide s’empara d'elle.
Un vide profond, intense et d'un froid sidéral.
Elle voulait le voir.
Elle voulait le serrer dans ses bras et tout oublier.
Elle voulait goûter ses lèvres et s'oublier, elle, et toutes ses accablantes responsabilités.