Une tornade débarqua sur le perron.
Ce maudit chien était de retour.
Il avait osé lui apporter un collier.
Un collier d’oreilles.
D’oreilles de violeurs.
De violeurs.

Son sang bouillait. Tout ses muscles étaient contractés malgré elle. Dans les tréfonds de sa forteresse, l’ombre s’agitait. Elle réclamait sa liberté. Criait. Hurlait.

Le ciel était couvert d’étoiles.

Calme. Paisible. Immuable.

L’exact inverse du chaos qui la secouait.

Mhilo l’attendait sur le perron. Elle ne lui adressa pas un mot. Elle ne savait pas quoi dire. Il y en avait tant qui se bousculaient pour sortir qu’aucun ne réussit à dépasser le seuil de ses lèvres.

Elle descendit tel un fantôme les marches de marbres, encombrées de quelques convives le long de la balustrade. Elle lui avait promis une promenade dans les jardins. Une simple promenade, loin de l’agitation. Cela avait semblé si simple à accepter sur le moment et cela lui paraissait désormais si insurmontable.

Il fallait combattre sa volontaire de tout contrôler. Oser lâcher-prise.


La petite voix commençait toujours ainsi ses insidieuses déclarations. Et elle se répercutait ensuite inlassablement. Comme un vaste écho.


Elle navigua entre les couples de danseurs sans leur prêter d’attention et s’enfonça toujours plus profondément dans les jardins.  

Son visage de marbre tentait de contrôler chacune de ses pensées.
Son silence refusait de laisser échapper les derniers évènements.


Plus elle avançait entre les bosquets, plus les convives se faisaient rare. Elle connaissait les jardins par cœur. Elle aurait pu les traverser les yeux bandés dans l’obscurité la plus totale. Lorsqu’enfin ils furent suffisamment loin pour qu’elle puisse lui parler librement, elle rompit le silence.

Où veux-tu aller ? Que veux-tu faire ?

Toujours cette rudesse, qui tombait plus sèchement que sa lame. Encore plus tranchante que d’habitude. Elle inspira profondément.


Elle plongea ses yeux dans ceux de Mhilo. Elle ne savait pas quoi dire.  Tout juste quoi faire. Il n’y avait que l’air frais qui avait apaisé le brasier qui s’était déclenchée plus tôt face au Garde Noir. Elle aurait voulu lui dire, lui raconter, mais elle avait promis.



Malgré tous ses efforts, ses mains continuaient de trembler sans qu’elle ne puisse rien y faire.

Quand j'avais espéré une promenade, je m'attendais à quelque chose de plus bucolique et bien moins tendu que maintenant. Plutôt un pique-nique, tous les deux en civils. Et non, avec une Dragonne qui peut décapiter une mouche en douze. Mais je n'allais pas m'en plaindre, j'allais avoir ma promenade. J'avais presque envie de lui fournir une laisse et japper de joie. J'étais loin du soldat qui ne savait pas rire et n'exprimait jamais rien de joyeux. Pour ceux qui n'avaient pas l'opportunité de me côtoyer en privée.

Mais avec Varda, j'avais l'impression de perdre tout mon charisme. Est-ce que j'en avais d'ailleurs ? Je prends une grande inspiration, vérifiant que tout était sous mon contrôle, parce que j'avais quand même la Vie du Prince entre mes mains, je ne devais pas l'oublier. Mais j'avais pleine confiance en les Manteaux Blancs. Et je me dirige le plus sereinement possible vers les jardins.

Sois toi-même, me hurle Wald dans ma tête. Manquerait plus qu'il se cache dans un buisson pour s'assurer que je ne ratais rien. Je ris à cette pensée. Sourire et complimenter mais pas trop. Je regarde autour de moi, et sors ma dague pour couper une rose. J'irais m'excuser demain auprès des jardiniers.

Depuis quand c'est devenu le prolongement d'un rencard ? Rien de romantique en plus. Hormis la Lune à la rigueur. Même éclairée par les lampions, elle n'en demeure pas moins divine. On pourrait presque croire que ses iris rougeoient. Concentre-toi Mhilo ! Le silence s'impose dans un premier entre nous. Je ne voudrais pas être dans sa tête, il doit y faire terriblement chaud. Je suppose qu'il pourrait avoir de la fumée sortir de ses petites oreilles. Je pense qu'un jour, elle m'enfoncera ses deux lames pour la grimer ainsi.  

Où veux-tu aller ? Que veux-tu faire ?

J'ai presque sursauté, ton de voix aussi tranchante que ses lames. Serait-elle tendue ? Je prends le temps de réfléchir, parce que je n'avais pas du tout prévu d'être ici. C'est à l'opposé de ma version plus douce. Je me sens gauche, alors je lui tends la rose et mon bras pour aller se perdre dans les jardins.  

Il parait qu'il y a un labyrinthe qui a été construit pour le petit déjeuné de demain. On peut toujours le tenter, si tu le souhaite. Pour assurer, que les participants soient en sécurité. Pas pour s'amuser, bien sûr.  

Je ne voudrais pas qu'elle divertisse trop, en ma compagnie tout de même. Je regrette de ne pas avoir pris de coupe de vin. Ça aurait probablement détendu nos corps raidis. Serions-nous toujours aussi solennels entre nous malgré nos confidences échangées ?

Les secondes s’étirent cadencées par le rythme lancinant des quelques grillons survivants de l’été. Un silence lourd et terriblement pesant s'installe.


Je croise ses yeux séracs et mon coeur s'emballe.


Contre tout attente une main sort de l'obscurité. Pur réflexe d'escrimeuse, j'esquive en reculant sans même m'en apercevoir l'attaque ennemie le végétal à pétales.

Que faire?


Regard interrogateur: est-ce que tu es sérieux Mhilo? semble-t-il demander muettement. Et c'est là que je me sens soudainement stupide et terriblement handicapé du cœur. Je maudis moi-même de mon effroyable maladresse avant de refermer mes serres autour de la rose.

- Merci. murmurè-je pleine de timidité en faisant tourner la petite tige entre ses doigts.


Je lui souris... Maladroitement. Heureusement qu'il reprend bien vite la parole. Le labyrinthe... Oui en effet... Je sens à peine la petite pique glissée malgré tout sur mon obsession du travail... J'acquiesce. Idée judicieuse ou personne n'ira nous trouver. Je ne sais pas pourquoi je me sens si nerveuse. Où est passée mon assurance? En vacances?
Mes doigts glissent entre mes cheveux blanchis dans un soupir.


Ou pas. Il se moquerait surement de moi et de ma gaucherie, lui qui court les jupons comme un chat après des souris. Chez lui c'est naturelle. Chez moi c'est... Complètement artificielle. J'ignore même jusqu'où c'est enfouie en moi. Pourtant... Pourtant avant je n'étais pas comme ça. Je me souviens vaguement, comme dans un rêve de mes vingts ans. C'était il n'y a somme tout pas si longtemps, et pourtant j'ai l'impression que cela fait une éternité, comme une autre vie presque. A partir de quand me suis-je égarée. Ma main retraverse ma chevelure sans que je n'y prête attention. Elle est si courte désormais. Si courte depuis.


Je m'ébroue. Comme un chien sortant de l'eau. Il faut que je retrouve mes esprits. Maintenant. Ne pas se laisser emporter dans les sous-sols de ma forteresse. Ne pas écouter les cris lancinants... J'attrape sa main et je l'entraine dans le labyrinthe d'un pas soutenu.

Voilà. Ca, ça me ressemble plus: audacieuse, entreprenante, flamboyante.

Les buis géométriques, savamment taillés au cordeau se dresse enfin devant nous. Je pénètre l'aller et je tire sur son bras pour le faire pivoter face à moi. Ses yeux bleus miroitent au clair de lune comme deux petits lacs et ses petits mèches d'argent lentement agité par la brise nocturne qui s'y engouffre. Comment pourrais-je y résister?

- Et si j'ai au contraire j'ai envie de m'amuser?

Sourire joueur au bord des lèvres, mes yeux ne peuvent plus quitter les siens.


Et si quelqu'un arrive? Et bien qu'il aille au diable. Ou alors je le découpe?

Je fronce le regard. Sans véritablement comprendre sa phrase. Que veut-elle me dire ? S’amuser dans quel sens ? Sait-elle, au moins, s’amuser ? Notre premier baiser me revient en mémoire ainsi que les retours de la fameuse nuit d’ivresse. Oui, elle sait. Mais clairement pas de manière enfantine. Je la toise, serait-ce une boutade de sa part ? Rictus en coin, voulait-elle véritablement s’adonner à l’oisiveté ? Tempête en mon fort intérieur. Bouche asséchée. Cerveau mis en pause. Si on se faisait attaquer, l’ennemi pourra m’entailler avant que mes esprits se remettent à fonctionner. Elle m’est dangereuse. Elle va me faire défaillir. Oh non, c’est déjà fait. Plus d’une fois. Electrisé. Je me noie dans ses iris, à la quête d’une bouée. Mais il n’y a que sévérité mouchetée de malice. Dragonne veut jouer. Je veux en découvrir davantage. Je me penche légèrement, embrassant son front dans un premier temps. Myocarde apaise-toi, je t’en prie. Un doux sourire sur mon visage. Je m’attaque sur ses lippes, réduisant la distance entre nous. Être moi-même. Ma main droite glisse dans la sienne.

- Voyons voir si tu te débrouille bien alors. Entrons par là.

J’ai déjà vu le labyrinthe, de hauteur mais entre la pénombre et y être, ce n’est pas la même. J’aurais probablement dû mémoriser le chemin. Premier embranchement, nous même dans un cul de sac. Je ne suis pas mauvais joueur. De mon point de vue. Mais je crois que je vais le regretter amèrement.

- Comment es-tu devenue Commandante ?

Autant profiter pour faire la conversation. Personne ne peut savoir que nous sommes ici. Enfin, quelques-uns mais dans le labyrinthe même, j’en doute. On fait demi-tour et prenons un autre chemin.

Qu’ai-je dit de si étonnant ? S’amuser peut-être ? C’est vrai que dans ma bouche ça sonne plus étrangement que Cornichon étincelant ou Licorne scintillante. Mais pourtant oui. Je sais m’amuser. Et dans tous les sens du terme. Il faut simplement prendre le temps d’ôter chacun des verrous. Je le confesse, j’adore semer le trouble dans son esprit si rationnel. Il n’y a rien de plus attirant que de voir l’océan de ses prunelles s’agitait subitement.
Un baiser sur mon front. Electrisant.
Un autre sur mes lèvres et je suis partie.
Partie à l’intérieur du labyrinthe, embarquée par cette main qui me perd déjà.
Dans un cul de sac. J’arque un sourcil interrogateur.


Dans l’obscurité tous les Manteaux Blancs sont gris non ? Lorsqu’il n’y a plus de blanc, il n’y a plus de limite. Je croise son regard. Deux petits astres bleus. Mes lèvres fourmillent déjà à l’idée du contact qui s’annonce. Devrais-je résister ? Veine tentative. Je suis terriblement faible. Le désir me gagne et… Trop tard elles sont déjà contre les miennes et s’entremêlent. D’abord lentement puis passionnément. Comme ce feu qui me dévore les entrailles. Fallait-il les quitter ? Il semblerait. Car c’est une étonnante question qui s’invite entre nous deux.

- Rien de très original. Quand j’ai pris le blanc, le Vieux bouc a fait de moi son disciple. Il est devenu faible et je l’ai détrôné.

Voix parfaitement sérieuse. Sourire franchement moqueur qui en dit long sur mon désir d'ascension.

Demi-tour. Retour case départ. Enfin pas exactement.

- Tu sais qu’il suffit de tenir sa droite pour sortir d’un labyrinthe ? Ce n’est pas le chemin le plus court mais c’est infaillible.

J’arque un sourcil, sans comprendre ses propos. Je ne suis pas encore aux faits sur le langage de Dragon, malgré tous les ordres aboyés que j’ai pu entendre. Je suppose qu’il va me falloir quelques mois d’études avant d’être tout assimiler.  

- Pardonne-moi mais je ne comprends pas ce que tu veux dire par tenir sa droite ? A la rigueur la pomme de ma lame, je pourrais faire le lien mais là, je ne vois pas du tout le rapport avec de fichtre buissons coupés au cordon...  

… Et qui commencent à me rendre chèvre. On faisait du surplace, à croire que les couloirs se changeaient sans arrêt, une fois que nous avions le dos tourné. Je retiens un soupir pour ne pas briser ma carapace de force tranquille qu’on me confère. Mais les plus petites choses pouvaient très vite me faire perdre patience. Comme ce labyrinthe, qui semblait pourtant très innocent, sur les marches.  

Ce n’était vraiment pas ce que je voulais, pour être au calme. Non, je voulais une après-midi ensoleillée, sans faux semblant, sans enjeux, sans nos rôles respectifs, ni foutu bal pour nous rappeler que des têtes pouvaient tomber à tout moment. Génial, je perds patience à cause de végétal. Cela m’apprendra à jouer les chevaliers.  

- Tu sembles avoir la solution alors ouvre nous le chemin, chère commandante. Tout en jouant le jeu, sinon ce n’est pas drôle d’user de subterfuges. Comme tout tailler avec tes tranchantes... Par la droite.

Chatouiller les narines d’un dragon dans la pénombre, je ne sais pas du tout si c’est une bonne stratégie mais fallait bien tenter parfois. Sourire en coin, regard taquin. Je m’éloigne quand même, par sécurité, un coup de flamme peut très vite arriver. J’ouvre ma main, paume vers le ciel pour l’inviter à me montrer ses talents.