Solange tourna la poignée, et une seconde plus tard, elle se retrouvait sur une sorte de petite terrasse étroite. La nuit était devenue plus fraîche. Elle descendit, main sur la balustrade, les quelques degrés du petit escalier sur sa droite. Bientôt, son pied foula un sol sableux. Une brise courut sur ses épaules et la fit frissonner. Ses pas la conduisirent dans une allée solitaire et elle s'assit sur un banc, sans y penser.

Son père quelque part, devait aussi sentir le froid. Elle songea à lui, à son innocence. Il ne pouvait pas être coupable de trahison, lui qui avait toute sa vie combattu pour Lioffel, l'homme et le pays. Surtout le pays.

Elle mit ses bras autour d'elle. Comment des gens pouvaient s'empiffrer sans honte ce soir, alors qu'un innocent croupissait injustement dans une prison ? Il fallait absolument qu'elle parle au roi, qu'elle lui explique. Elle le supplierait s'il le fallait ! Sa mère ne supporterait pas davantage l'absence de son père.

Et elle avait raté les inscriptions ! Elle s'en voulait !

La jeune femme rejeta la tête en arrière. Les branches des arbres découpaient des ombres tordues sur la voûte céleste, filtrant, comme les barreau d'une prison, les lumières venues d'autres mondes. Et elle ferma les yeux.

Une larme coula doucement jusqu'à son menton.

Nathanael venait de voir Solange.

Cela faisait dix minutes qu'il la cherchait, demandant à qui voulait bien lui répondre si quelqu'un avait vu mam'zelle Solange - il avait bien compris que "madame" ne se disait pas, il ne savait pas bien pourquoi, mais soit. En tout cas, personne ne lui avait indiquée la position de la jeune femme. C'était donc, certainement, un coup de la providence que de l'avoir vue se glisser entre deux convives, dans sa robe propre, avant de se soustraire à son regard.

Il s'engagea aussitôt dans la même direction qu'elle, bousculant au passage une femme rondelette - il ne savait toujours pas si le gras tenait chaud l'hiver ! - et s'empressant de filer sous son regard courroucé. Quelques secondes plus tard, au prix de nombreux 'scusez-moi, m'sieur ou p'don m'dame, il parvint à atteindre la petite porte par laquelle Solange s'était volatilisée.

Quand il l'ouvrit à son tour, elle n'était pas très loin. Elle descendait les escaliers, vers une étendue de sable, la main sur la balustrade. L'air s'était fraîchi mais Nathanael ne s'en préoccupa pas. Il faisait encore bon ! Il lui emboîta le pas. Il devait lui parler. Lui demander des conseils. Elle s'était proposée - ou, plus justement, elle avait accepté - pour être son institutrice de la soirée. Et il en avait désespérement besoin.

Quand il la rattrapa enfin, elle s'était assise sur un banc, dans une allée silencieuse et peu éclairée. Seule la lumière de la Lune qui se levait progressivement venait la baigner de sa lueur blafarde. Elle avait serré ses bras autour d'elle. Avait-elle froid ? Il fallait dire qu'elle n'était pas très remplumée, elle, et elle n'avait pas l'habitude comme lui. Peut-être était une preuve que le gras tenait chaud ?

Il accéléra le pas et appela :

- Mam'zelle Solange ! Mam'zelle Solange !

Quand il arriva à son niveau, elle avait rejeté la tête en arrière, les yeux fermés. Nathanael prit une inspiration pour reprendre son souffle. Elle n'avait pas répondu, mais il enchaîna sans se poser de questions :

- Vous v'lez ben m'... - il s'arrêta net, en remarquant un éclat anormal sur son menton : - ... que'qu'chose va pas, mam'zelle Solange ? J'peux vous aider ?

Ailleurs.

Aucune lumière. Il faisait si froid sous terre. L'homme barbu tira sur le bout de tissu qui lui servait de couverture. Il toussa. Ses yeux bleus fatigués étaient perdus au milieu de la broussaille des sourcils. Entre les doigts de la main gauche, rendue calleuse par le maniement de l'épée, un petit objet était tenu caché. Un médaillon où tenaient deux visages féminins. Le cœur du prisonnier se réchauffait mieux à leur image que dans la plus chaude des couvertures. Quand il pouvait les voir. Mais ce soir, les gardes avaient éteint leur torche. Aucune flamme ne dansait sur les murs nus.

Il toussa encore, remua dans ses chaînes, se recroquevilla et ferma les yeux.


Solange sursauta à la voix de Nath. Elle ne l'avait pas entendu arriver.

- Euh... je...

Elle essuya rapidement son visage et renifla en remettant ses cheveux en place.

- Pardon, Nathanael, je ne vous avais pas entendu arriver.

Elle l'examina et réalisa qu'il venait probablement lui demander de poursuivre ses leçons de bonnes manières. Cela lui était totalement sorti de l'esprit.

- Venez, asseyez-vous. Je vais vous dire un peu comment on doit se comporter ici. Normalement, on ne devrait pas être trop dérangés.

Elle le regarda s'installer à côté d'elle.

- Euh... vous permettez ? il faut avoir le dos droit autant que possible quand on s'assoit (elle repoussa ses épaules en arrière). Voilà. Oh ! mais vous avez les poches pleines de...

Sans gêne, elle fouilla.

- De confiseries !