Emmanuelle se rendit sur le balcon, un verre à la main. En regardant autour d’elle, elle crut d’abord apercevoir une silhouette féminine, ce qui la poussa à s’en approcher.
- Hum… Madame ?
Voyant la jeune femme toujours immobile, Emma y posa doucement sa main. Elle s’avérait être de marbre blanc. La pierre avait vieilli et on pouvait observer les marques d’usures et de griffures sur ses bras. Pourtant, la statue gardait son air ingénu et pensif. Si la statue vivait, comment verrait-elle ce monde ? Y porterait-elle un regard aussi innocent ?
Elle pensait alors à cette histoire qu’elle avait lue une fois. Un sculpteur était tombé amoureux de sa statue. Il ne le disait à personne de peur d’être pris pour un fou. Un beau jour, il embrassa la statue, et cette dernière prenait vie.
Après, la jeune fille savait juste qu’ils vivaient le parfait amour. Mais elle avait du mal à croire que la statue tomberait immédiatement amoureuse de son créateur. Il y avait certainement un moment où elle découvrait tout, et la jeune baronne aurait aimé le connaître. Cette insatisfaction l’avait fait écrire une histoire où une statue prenait vie et découvrait le monde autour d’elle. Elle en était peut-être trop fière, mais elle aurait préféré lire cette histoire.
Elle songea ensuite à Thony. S’il lisait cette histoire, qu’en aurait-il pensé ? L’apprécierait-il ? Quelles remarques pourrait-il faire ? Elle s’imaginait écouter attentivement son avis. S’il contemplait la statue avec elle, quelles pensées lui traverseraient l’esprit ? A moins qu’il regarderait le ciel étoilé, avec elle ?…
Elle commença à s’énerver. Pourquoi pensait-elle ainsi à lui ? Ils s’étaient parlés deux fois en presque deux heures. Ils s’entendaient bien, elle voulait garder contact avec lui, mais ils se connaissaient à peine. Pourquoi son départ la chamboulait-il ? Pourquoi souhaitait-elle tant sa présence ?
Elle but son dernier verre. Plus seulement pour découvrir les premiers effets de l’ivresse. Elle oublierait ces questions. Elle oublierait ce mot venant du plus profond de son être. Ce murmure dont l’intensité augmentait. Elle ne le laisserait point envahir son esprit.
Les vapeurs éthyliques lui montaient à la tête…

Cela faisait maintenant plus d'une heure que je me trouvais sur le balcon. Thony et moi avions fini par nous séparer et, si j'était rentré plusieurs fois pour me reprendre un verre, j'étais immédiatement retourné à l'extérieur. Le bruit incessant ne me plaisait pas et j'avais fini par me retrouver avec un léger mal de tête.

C'est donc toujours le dos contre ma rambarde, la tête rejetée en arrière pour observer les étoiles que j'entendis un son de pas me rejoindre. Je relevais la tête et observais le manège de la jeune noble qui venait d'apparaître sur mon havre de paix. Sa voix s'éleva dans les airs et je me retins de pouffer de rire en remarquant qu'elle s'adressait à l'une des statues. Forcément, je me trouvais dans l'un des coins les plus sombres, loin de la lumière qui filtrait par les fenêtres de la salle de balle. Elle n'avait pas du me voir.

Comme elle, j'avalais rapidement ce qu'il restait de mon verre avant de me diriger vers elle. Ma curiosité avait été piquée et, un sourire taquin aux lèvres et un air avenant sur le visage je l'interppelais.

-Vous avez besoin de quelque chose ? Ou bien vous êtes vous perdue ? Dans tout les cas je ne pense pas qu'une statue vous soit d'une grande aide

Un léger rire m'échapa.

-Remarque, moi bon plus. Mais je serais certainement plus intéressante pour conversé. Au moins plus... Répondante.

A nouveau, un sourire étira mes lèvres et j'attrapais une nouvelle coupe de champagne directement sur le plateau d'un serveur qui passait à proximité de la porte. Je n'aimais pas vraiment les nobles mais qui savait ? Peut-être serait-elle amusante. Elle avait l'air un peu ivre et elle s'énervait toute seule... Si ça, ça promettait pas quelque chose d'intéressant, alors je ne savais pas qu'est ce qui le ferait.

Emmanuelle sursauta à l’entente d’une voix féminine et se retourna. Son interlocutrice devait être plus grande qu’elle et semblait être brune. C’était tout ce que la jeune noble déduisait de la vue trouble qui s’offrait à elle. Elle éclata de rire.
- Oui, plus qu’une statue.
Elle essaya de s’approcher un peu plus de la jeune femme mais elle ne tenait pas bien l’équilibre. Finalement, elle dût s’aider de la statue pour ne pas tomber.
- J’suis une pip’lette.
Elle ria de plus belle.
- J’aime beaucoup parler de tout et de rien, échanger avec les autres, faire connaissance avec les gens.
L’image d’Anne-Sophie La Pique lui revint en tête, ce qui la mit en colère.
- J’ai parlé à une aut’pip’lette. Anne-Sophie La Pique, j’crois. C’tait normal au début, jusqu’à c’qu’elle parle du prince.
Elle fit un sourire mièvre et sa voix devint plus aiguë.
- « Le prince, il est trop beau, trop fort, courageux, gentil, et nanani… J’me marierai avec lui, on aura de beaux enfants. »
Elle finit sa comédie par un faux gloussement. Puis elle fronça de nouveau les sourcils et parla de plus en plus fort.
- J’subi ça pendant dix minutes ! Inutile de lui demander à quoi il ressemble, elle l’a même pas vu ! J’en pouvais plus ! Chuis montée sur la table et j’lui ai hurlé dessus ! J’déteste quand on m’fait perdre mon temps !
Elle retrouva vite sa bonne humeur.
- C’est la seule à m’avoir énervée pour l’instant. J’peux l’éviter et j’fait d’meilleures rencontres. Comme l’vieux conteur, et Thony…
La rougeur de l’alcool augmentait au doux nom de Thony.
- Il est sympathique et plein d’joie d’vivre. Nous nous entendons très bien. J’me sens à l’aise avec lui, comme s’il pouvait me comprendre.
Elle prit une mine triste.
- Mais une dragonne l’a convoqué. Il a sûr’ment trop bu. J’espère qu’il r'viendra, il est tell’ment mignon.
Elle prit ensuite conscience de son flot de paroles, ce qui l’embarrassa.
- Oh pardon, j’fais que parler de moi ! J’critique l’égocentrisme d’une dame et j’fais presque pareil !
Elle sourit à la jeune femme encore floue.
- V’lez-vous prendre l’air, vous aussi ? Z’avez une belle voix.