Note sur cette scène : il s'agit d'un défi autour des expressions alimentaires. Le but en placer le plus possible dans un seul post. Bien évidemment cela n'enlève en rien son intérêt pour l'intrigue globale

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Cerise n'avait cessé de danser (ou presque) depuis qu'elle avait quitté Nathanaël Fedrilla, l'homme qui mangeait plus en une soirée qu'elle-même en une année. Elle n'en avait pourtant pas oublié sa promesse de le faire danser. Une promesse était une promesse et on ne badinait pas avec cela!

Elle l'avait cherché à proximité dans son lieu de prédilection plusieurs fois, mais il était à chaque fois en bonne compagnie. A croire que l'homme attirait la curiosité de ses pairs dans cette salle.

La jeune noble se promit de l'extirper des griffes d'ennuyeuses conversations si celui-ci était toujours prit entre deux feux. Elle se dirigea d'un pas décidé dans sa robe flamboyante vers le buffet.
Il était là.
En train d'enfourner un petit gâteau à la crème dans son immense bouche.
Mais où pouvait-il mettre tout ce qu'il mangeait?! Cela demeurerait sans doute un mystère.

- Monsieur Fedrillaaaaaa lança-t-elle de sa petite voix fluette

- N'espérez pas vous échapper en bavardant avec une colonne, cette fois-ci! Une promesse est une promesse et je compte bien vous offrir cette leçon danse.

Elle effectua une révérence aussi élégante qu’exagérée, s’aplatissant quasiment sur le sol dans un geste d'une souplesse inouïe à la vue de ce rigide corset qui l'enserrait.

- Monsieur Fedrilla, acceptez cette humble danse en ma compagnie. Après vous être méticuleusement essuyé vos doigts

Elle releva la tête, ses petits yeux malicieux étincelants d'un amusement nullement moqueur, simplement taquin et bon enfant. Un rire cristallin s'échappa de sa mine espiègle, tandis que son éventail cachait ses délicates lèvres carmins.

- Monsieur Fedrillaaaaa !

L'appel enthousiaste qui signait le début du cauchemar.

Une voix fluette qui résonnait dans son dos. Une voix qu'il reconnu aussitôt, même s'il n'avait pas vraiment tenu une conversation très longue avec cette jeune femme, engoncée dans un corset incroyablement serré. Pourtant, elle lui avait fait une forte impression - et pas vraiment dans le bon sens du terme, il fallait le dire.

Sa manière de ne pas manger - non, il ne comprenait toujours pas comme cela était possible ! - et la promesse qu'elle lui avait faite de lui apprendre à danser dans la soirée... A vrai dire, il avait fait ce qu'il avait pu pour toujours être occupé. Il n'avait pas eu des conversations très intéressantes avec tout le monde mais il avait été constamment occupé et, fort heureusement, personne n'avait eu l'idée lumineuse de l'inviter à danser.

Personne, sauf elle. Fallait-il être fou, nom d'un chien ! Ne voyait-elle pas que ce serait la danse la plus ridicule qu'elle n'aurait jamais faite ?

Dans tous les cas, aussi peu galant que ce soit, il avait fait soigneusement attention à l'éviter. Peut-être pas très discrètement puisqu'aussitôt arrivée, elle le prévint que cette fois-ci, il ne pouvait pas fuir. Il était pour ainsi dire pris au piège.

- J'pas parlé 'vec la colonne ! protesta-t-il en se tournant vers elle, presque confus qu'elle ait compris la manoeuvre d'évitement.

Soudain, elle lui fit la révérence, incroyablement souple, avec un petit rire cristallin pour ponctuer ses mots.

- Monsieur Fedrilla, acceptez cette humble danse en ma compagnie. Après vous être méticuleusement essuyé vos doigts.

Nathanael la regarda, un moment hébété. Mais... elle comptait vraiment le faire danser ? Il ne pouvait pas se le permettre, on ne verrait que lui, sur la piste de danse ! Il avait déjà fait suffisamment d'impairs ce soir sans pour en plus en rajouter !

Il chercha un moyen à toute allure de refuser et de fuir, loin, très loin de Cerise. Mais aucun qui ne soit sensé ne lui vint. Il se râcla la gorge :

- J'voudrais pas vous écraser les pieds.

Une bien maigre excuse qui ne changerait certainement pas la donne. Mais il se devait de tenter.

Cependant, en voyant son regard qui ne souffrait d'aucune protestation, il s'essuya les mains - pas sur ses vêtements mais sur la nappe, puisqu'il ne voyait aucune serviette à proximité.

Il n'avait qu'une envie : tourner les talons et s'éloigner à l'autre bout de la salle en courant.

Mais pourquoi donc avait-elle l'impression qu'il cherchait à l'éviter dans une interminable partie de pain perdu cache-cache? Elle était pourtant jolie, d'agréable compagnie et en plus elle lui laissait tout le loisir de déguster sa part du buffet. A cela s'ajouter ses talents de danseuse. Des heures d'entrainement intensif à glisser sur les paquets vernis au rythme des mélopées.

En réalité, il aurait plutôt dû accourir afin d'effectuer sa leçon de danse. Ce n'était qu'une question de temps avant que quelqu'un ne l'invite à danser. Il était tellement mignon à mâcher ses mots plus que ses petits beignets au miel dont il raffolait. Cela faisait de lui quelqu'un d’extra-ordinaire. Oui, extra-ordinaire car qui avait déjà croisé dans un bal, pareil individu?

Elle l'invita donc à danser, faisant par la même occasion l'une de ses plus élégantes révérences. Celle-là même qu'elle réservait au Prince. Lorsqu'elle se releva, elle constata son air hagard. Il tenta bien de refuser à l'aide de cette excuse aussi habituelle qu'inutile mais la jeune femme flamboyante ne comptait pas s'arrêter là.

C'est sur la nappe qu'il essuya copieusement ses doigts, y laissant une large trace de gras et quelques miettes collées. Cela fut suffisant pour lui faire détourner le regard de dégout. Contrairement à d'autres ce n'était pas ses manières peu orthodoxe qui la mettait mal à l'aise mais la simple vision de cet extrait alimentaire imprégné dans les fibres immaculées du linge.

Elle inspira légèrement afin de faire partir cette boule désagréable qui se formait dans sa gorge et glissa sa main sous son bras d'un geste fluide, l'entrainant dans l'arène.

- Ce n'est qu'une danse Monsieur Fedrilla, je ne vais pas vous manger. Vraiment!

Elle étouffa un petit rire amusé alors qu'ils avaient enfin rejoint le coeur des festivités. L'orchestre lança un nouveau morceau.

- Oh une valse! Voilà du pain bénit pour vous! Sans doute la plus simple des danses présentes ce soir.

Elle plaça une main sur son bras, juste en dessous de son épaule et l'autre dans sa main.

- Bien, si vous êtes prêt nous allons pouvoir y aller! C'est très facile vous verrez. Il vous suffit de compter jusqu'à trois en tournant en rond!

Son petit sourire espiègle ne la quittait pas. Nathanaël n'était clairement pas son meilleur cavalier. Il était même le pire. Et de loin. Cerise avait du pain sur la planche...

Oui, il l'avait évitée, et elle le savait pertinemment puisqu'elle arrivait en lui parlant de discussion avec une colonne. Bon. Au moins, elle avait la bienveillance de ne pas en avoir fait tout un fromage. Mais tout compte fait, elle n'avait pas tout à fait tord. Il aurait préféré discuter avec le mur et danser avec elle.

Ce n'était pas la dame en elle-même le problème, mais belle et bien la danse. Et s'il montait sur la piste de danse, une chose était sûre : ce serait la fin des haricots. Fini son semblant de couverture - qui n'était de toute manière vraiment pas très utile vu son incapacité à se faire passer pour un noble.

Mais non, décidément, elle ne lui laissait pas le choix. Et il fut bien obligé de finir par lui obéir, même si ce ne fut pas avec le sourire. Elle n'allait pas le manger ? Elle ne mangeait rien du tout, en même temps... Ce n'était pas ce qui allait le rassurer. Il l'avait observée sur le temps de une ou deux danses et il avait pu constater une chose : elle était comme un poisson dans l'eau, au milieu des couples tournoyants.

Elle glissa sa main dans la sienne. Sa peau était toute lisse contre la sienne. Elle avait assurément des mains de noble. Des mains qui ne connaissaient pas la rigueur des rues ou bien des combats. Des mains qui restaient enfermées à l'intérieur. Très fines. Elle l'entraîna avec elle sur la piste. En plein milieu de l'enfer. Elle semblait heureuse, mais Nathanael ne fut pas capable de lui rendre son sourire, sinon une expression mi-figue, mi-raisin.

Une valse. Du pain béni. La soi-disant plus simple des danses de la soirée. Nathanael avait l'impression d'être le dindon de la farce. On ne se jouait pas spécialement de lui. Il n'empêchait qu'il ne savait pas plus danser la valse que n'importe quelle danse et que Cerise allait se faire écraser les pieds plus de fois en quelques minutes que pendant toute sa vie.

Pourquoi n'avait-elle pas eu l'idée lumineuse de le laisser tranquillement au buffet et de s'occuper de ses oignons ?

- Bien, si vous êtes prêt, nous allons pouvoir y aller ! C'est très facile vous verrez. Il vous suffit de compter jusqu'à trois en tournant en rond !

Compter jusqu'à trois. Tourner en rond.

Compter jusqu'à trois. Tourner en rond.

La musique débuta pour de bon. Elle l'entraîna pour de bon. Non, il était pas prêt, il était pas prêt. A peine un pas plus loin, et il lui montait déjà sur le pied. Contrit, il s'arrêta presque et s'excusa :

- Pardon, pardon, pardon. J'pas exprès.

Hors de question de faire chou blanc avec cette leçon de danse! Son honneur était en jeu, tant pis si elle passait pour une casse-bonbon, elle était déterminée à lui enseigner les rudiments de la survie durant un bal.
Et puis il avait de la chance, il tombait sur une valse. L'idéal pour commencer cette leçon.

Le troisième temps n'était pas arrivé qu'un pied s'écrasa sur sa délicate chaussures. Elle ne se laissa pas déstabilisée et reprit les bases:

- un, deux et vous décaler votre pied vers l'extérieur comme ceci, parfait!

Bon parfait... C'était peut être un peu en faire tout un flan. Mais il fallait bien l'encourager un tant soit peu non?
Elle l'entraîne un peu plus loin continuant à compter à haute voix les temps et à lui donner les indications nécessaires. Quelques orteils y passaient parfois, dommages collatéraux alors que son cavalier suer à grosses gouttes.

Cerise mit les bouchées doubles afin d'atteindre l'objectif qu'elle s'était fixée. Elle décida d'entamer la conversation sur un sujet plus léger afin de le distraire de ce qui semblait être un calvaire pour lui.

- Ne vous en faites pas pour vos pas, ce sera réglé en deux coups de cuillère à pot! D'ailleurs en parlant de pot... J'ai découvert le pot aux roses! Ah! Vous savez Amylia celle qui a dansé avec le prince? Jay m'a dit qu'ellen s'était faite confisquée un poignard... Enfin un coupe-papier, mais c'est dangereux ça ! Vous vous rendez-compte? Elle aurait pu tuer le Roi avec?!

Cerise adorait connaître les petits secrets de chacun, c'était littéralement la cerise sur le gâteau de ses soirées. Elle avait souvent la langue bien pendue mais jamais elle ne serait permise de raconter des salades sur qui que ce soit.

Le cuisinier du palais devait être un véritable cordon-bleu et il aurait beaucoup aimé le rencontrer ! Ce soir, les cuisines avaient mis les petits plats dans les grands à n'en pas douter ! Tout ce cristal, tout cet argent, tout cette nourriture sur une seule et même table ! C'était ce que se disait Nathanael tandis que Cerise l'entraînait sur la piste de danse - son pire cauchemar de la soirée - et qu'il jetait un regard un peu dépité sur le buffet qui s'éloignait inexorablement de lui.

A choisir, il aurait préféré en rester le plus proche possible, près de tous ces petits plats qui lui mettaient l'eau à la bouche tant ils avaient tous l'air plus savoureux les uns que les autres, plutôt que de se retrouver au milieu de tous ces corps pressés qui tournoyaient à une cadence soutenue. Mais Cerise ne semblait pas avoir envie de lui en laisser l'occasion. Même si Nathanael ne faisait clairement pas le poids face à ses autres cavaliers, elle ne cédait pas et veillait au grain en l'encourageant.

Oui, elle l'encourageait. Elle lui disait même que c'était parfait. Certes, Nathanael n'avait pas inventé l'eau chaude et son éducation avait, disons... quelques manquements. Mais il n'était pas un idiot profond pour autant ! La valse, ce n'était pas de la tarte et sa prestation était très loin d'être parfaite, quoiqu'elle tente de lui faire croire. Il n'y avait qu'à voir le nombre de fois où il lui avait marché sur les pieds en moins de vingt secondes.

Oh non, dans cette salle de bal, Nathanael n'était pas dans son assiette. Il ne se sentait pas très bien et aurait tout donné pour que la musique s'arrête dans la seconde. Mais cela semblait peine perdue, parce qu'elle accélérait même petit à petit. Elle avait au moins la présence d'esprit de compter pour lui, de quoi lui permettre de se repérer un peu sur la position des pas. Il s'améliorait un peu non ?

Puis, elle changea de sujet. Nathanael, qui regardait leurs pieds, releva les yeux une seconde vers elle - durant laquelle il se prit les pieds dans les volants de sa robe. Bon sang, mais y avait-il une seule personne dans cette salle qui était assez nulle en danse pour faire une telle chose ? Et au monde ?

- Vous savez Amylia, celle qui a dansé avec le Prince ? Jay m'a dit qu'elle s'était faite confisquée un poignard... Enfin un coupe-papier, mais c'est dangereux ça ! Vous vous rendez compte ? Elle aurait pu tuer le Roi avec ?!

Oui, bien entendu, il se rappelait bien de la jeune femme croisée en début de soirée. Il se souvenait bien aussi de l'animosité qu'avait soulevé le sujet de la danse avec le Prince chez sa cavalière. Il n'était donc pas vraiment surpris d'entendre Cerise casser du sucre sur le dos de la jeune marquise avec autant de volubilité.

Pourtant... Pourtant, Nathanael avait un rôle ce soir. On lui avait demandé d'assassiner tous les conjurés - et cela, au moindre doute, sans se soucier d'avoir des preuves concrètes ou non. Un coupe papier trouvé sur Amylia ? Une main habituée aurait certainement pu en faire quelque chose de dangereux, oui, mais... cette jeune femme ? Elle avait pourtant l'air innocent.

Et puis, chacun traînait des casseroles, lui avec, et un bal comme celui-ci, il aurait parié que tout le monde en avait. Tout à coup, bien que toujours aussi difficile pour lui, il ne s'agissait plus de finir le plus vite possible la danse. Il devait en apprendre davantage sur cette histoire de coupe-papier. Et sur ce que savait Cerise exactement de manière générale. Les ragots, elle avait l'air de les connaître...

- Est-ce qu'vous croyez qu'y'a b'coup d'monde, c'soir, pou'ssayer d'tuer l'Roi ?

Ce n'était pas très fin. Mais d'un autre côté, Cerise était assurément une royaliste. Et elle avait l'air heureuse de lui raconter tout ce qu'elle savait... Elle serait certainement ravie qu'il alimente la conversation, n'est-ce pas ?

La leçon de danse se poursuivait au rythme des violons. Cerise avait beau garder la banane, son cavalier semblait toujours autant pédaler dans le semoule. Elle se décida donc à lui parler d'autres choses: tous ces petits ragots qu'elle avait surpris ou accumuler aux fils des minutes.
Elle lui raconta donc l'outrageante découverte sur Amylia. Son cavalier resta circonspect, pensif durant un temps avant de lui demander ce qu'elle pensait des invités présents ce soir. Bien trop heureuse de pouvoir mettre son grain de sel, elle lui servit sur un plateau d'argent ce qu'il demandait:

-Oh et bien vous savez... Je pense que oui... Tout le monde est plus ou moins suspect et la situation pourrait rapidement tourner au vinaigre, si vous voyez ce que je veux dire.

Ils tournèrent sur eux-même, heurtant un autre couple mais Cerise ne semblait pas y prêter attention, bien trop occuper qu'elle était à répondre à ce cavalier qui avait un si bon coup de fourchette

- Il y a Emmanuelle de l'Occitane par exemple... Vous la connaissez? Et bien elle s'est fait confisquée un pique à cheveux! Et où l'a-t-on retrouvé? Sur la table à dire du mal du Prince! s'offusqua-t-elle.

Il fallait vraiment être une nouille pour s'exposer ainsi sans avoir d'idées derrière  la tête. Même elle, savait qu'on ne se donnait pas en spectacle ainsi lors de telles mondanités. Oh non, côtoyer l'aristocratie nécessitait de marcher en permanence sur des oeufs, d'un pas léger et aérien sinon, les carottes étaient cuites pour vous. Une réputation cela mettait du temps à se bâtir mais un seul faux pas et elle terminait calcinée en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Cerise aussi avait une réputation: celle d'un cœur d'artichaut qui aimait ramener sa fraise mais qui avait toujours la pêche si l'on exceptait les rares fois où elle tombait dans les pommes/

- Les plus suspects sont les plus insoupçonnables si vous voulez mon avis. Veillard, jeune fille naïve, domestique... Ceux qui passent le plus inaperçu vous savez?

Elle lui offrit un petit sourire entendu. Qui qu'était cette homme il n'était pas ici par hasard. Elle aurait mis sa main à couper. Son langage, son attitude... Tout laisser croire qu'il faisait parti de ces invités qui étaient venu mettre un peu de beurre dans leurs épinards, ce soir. C'était l'occasion rêvé pour faire affaire, quelque soit votre domaine de prédilection. Y comprit lorsque vous œuvriez dans les services à la personne.

-Je pourrais vous y aider si vous voulez. Dites-moi donc ce que vous êtes venu chercher ce soir, Nathanaël.

L'ambiance de la soirée était décidément à couteaux tirés. La tension était à son comble et à ce rythme, s'il en croyait ce que disait Cerise à ce propos et les rumeurs qui couraient parmi les nobles, il faudrait finir par ramasser les invités à la petite cuillère. Ainsi que le roi en prime. Nathanael avala sa salive malgré lui, en écoutant sa cavalière parler.

- Oh et bien vous savez... Je pense que oui... Tout le monde est plus ou moins suspect.

Encore quelques jours plus tôt, Nathanael se fichait bien de savoir si le Roi allait mourir ou pas. Pour lui, cela ne changeait pas grand chose, qui se trouvait sur le trône. Il était un mendiant, et aux yeux du gouvernement - qu'importe le souverain - son avis comptait pour du beurre...

Sauf que, depuis la semaine dernière, les choses avaient changé. Si le Roi mourrait ce soir, Nathanael finirait avec une corde autour du cou - et cela au mieux, s'il avait du bol -, il en était à peu près sûr. Nathanael n'avait peut-être pas une grande éducation, ce n'était pas pour autant qu'il n'avait rien dans le citron. S'il échouait à sa mission, il y passait. Et avec tous ces conjurés qui guettaient... Bon sang, il n'était pas sorti de l'auberge !

Prendre conscience du fait qu'il ne verrait peut-être pas - pour ne pas dire sûrement - le jour prochain le laissa comme deux ronds de flan, avec un goût aigre sur la langue. Il n'avait pas envie de mourir...

La danse lui semblait interminable mais il avait une conscience accrue du fait que Cerise était une jeune femme quelque peu soupe au lait et il ne voulait pas risquer qu'elle lui en veuille... Elle avait un talent certain pour jeter de l'huile sur le feu, après tout aussi il prit donc sur lui pour continuer à tourner du mieux qu'il le pouvait - en lui écrasant le pied à deux nouvelles reprises. Mais c'était vouloir le beurre et l'argent du beurre que de souhaiter danser avec lui sans se faire écraser les pieds. En plus, cela lui ouvrait de nouveau l'appétit, et sa faim de loup revenait à grands pas !

Il écouta avec grande attention sa déposition sur une certaine Emmanuelle de l'Occitane. Une jeune femme qui avait encore un rapport quelconque avec le Prince - celle-ci n'avait pas dansé avec lui mais en avait dit du mal. Ah ! Le prince, il devait vivre comme un cop en pâte et pourtant, Nathanael ne l'enviait pas du tout. Le peu qu'il avait pu voir pendant la soirée lui coupait toute envie de devenir aristocrate. Il préférait encore la rue et le froid à cette vie de guindés !

En fin de compte, peut-être que les nobles étaient encore plus durs à cuire que les plus coriaces brigands ? Pas pour les mêmes raisons, bien sûr... mais n'importe quelle personne manquant d'éducation ne faisait pas le poids face au pouvoir des mots.

- Les plus suspects sont les plus insoupçonnables si vous voulez mon avis. Vieillard, jeune fille naïve, domestique... Ceux qui passent le plus inaperçus vous savez ?

Nathanael hocha la tête. Elle avait raison, il ne fallait ignorer aucune piste. Les gens qui semblaient innocents étaient souvent les meilleurs pour parvenir à vous rouler dans la farine sans attirer votre attention. Ou bien, quand vous en preniez conscience, ils avaient déjà filé et le mal était fait.

Il ne dit pas un mot, jusqu'à sa remarque suivante. Elle lui proposait de l'aide. Mais qui disait aide, disait... il ne put contenir un frisson. Nathanael tâchait de voir ce travail comme un autre. Juste une manière de plus de gagner sa croûte mais il avait de plus en plus de mal. Parce que les doutes venaient lentement s'implanter dans son esprit. Pourquoi l'avait-on prit, lui, un miséreux qui était incapable de se fondre dans la masse alors qu'il y avait nombre de personnes capables de faire le boulot mieux que lui ? La réponse apparaissait lentement à ses yeux et elle était terrifiante.

Mais il devait se raisonner. Inutile de se mettre la rate au court-bouillon maintenant. S'il parvenait à accomplir sa mission correctement, il y avait une chance. Et justement, cette chance se trouvait en face de lui. Il était sûr de pouvoir faire confiance à Cerise en ce qui concernait la fidélité du roi. Il fallait juste faire attention à ne pas qu'elle aille le crier sur tous les toits. Alors, il répondit le plus honnêtement possible, sans préciser comment il le protégeait.

- J'suis là pou' protéger l'Roi... C'ma mission d'la soirée. J'suis sûr qu'vous savez plein d'choses à c'sujet.

Il fit une pause et se sentit forcé d'ajouter :

- C't'important qu'personne n'sache... mais... j'peux vous poser d'mander un truc, Madame Cerise ? C'que vous pensez qu'les aut' ont compris ?

Il fallait se rendre à l'évidence: cette leçon de danse pédalait dans la choucroute. Elle allait de voir mettre un peu d'eau dans son vin concernant ses objectifs chorégraphiques. Il lui écrasait encore régulièrement les pieds et on pouvait même dire qu'il avait désormais carrément mit les pieds dans le plat. Car oui, cette petite valse avait prit un tournant inattendu. Nathnaël lui avait demandé son avis sur les invités de ce soir. Comme elle n'était pas du genre à se mêler de ses oignons, elle s'empressa de lui fournir une analyse détaillée de la situation. Elle avait peut-être une allure d'asperge ou de planche à pain selon les avis, elle n'en était pas pour autant une truite pour autant.  Et sous ses airs de pauvre tuffe, elle était en réalité bien plus intelligente qu'il n'y paraissait. Elle aimait se jouer de ce qui ne s'arrêtaient qu'aux apparences.

- J'suis là pou' protéger l'Roi... C'ma mission d'la soirée. J'suis sûr qu'vous savez plein d'choses à c'sujet.

Il devait... protéger le Roi? Lui? Elle le regarda un peu plus attentivement. Il devait avoir de la bouteille pour que le souverain lui donne pour mission sa protection alors que cette soirée avait tout pour tourner en eau de boudin d'un instant à l'autre. Si elle savait des choses à ce sujet? Et bien... Mais déjà, il reprenait

- C't'important qu'personne n'sache... mais... j'peux vous poser d'mander un truc, Madame Cerise ? C'que vous pensez qu'les aut' ont compris ?

Oh, c'était donc une mission secrète... Le pauvre avait l'air d'être dans la mélasse jusqu'au cou. Il avait sans doute accepté ce travail pour une bouchée de pain car il paraissait désormais évident qu'il était fauché comme les blés. Elle avait décidé de l'aider. Elle ne savait pas trop pourquoi mais elle avait cette intuition en elle qui la poussait à lui éviter tout pépin.

- Et bien il ne faut pas avoir inventé le fil à couper le beurre pour savoir qu'ils sont nombreux à vouloir le voir manger les pissenlits par la racine. Votre tâche va être compliqué ce soir. Mais je ferai mon possible, pour vous y aider. Vous voulez mon avis? Et bien tout le monde pense que vous êtes un assassin venu faire ses choux gras ce soir.

Cerise avait beau être royaliste, elle entendait bien ce que tout le monde disait autour d'elle... Que le temps des cerises viendrait quand la neige recouvrirait le trône
Etait-ce la vérité? Elle n'avait toujours connu que Lioffel et il semblait toujours si... Plein de vie. Elle avait du mal à imaginer qu'il puisse ainsi passer de vie à trépas. Et Nathnaël qu'elle place avait-il dans tout ça? Elle commençait à se dire qu'il y avait là anguille sous roche

Quel dépendeur d'andouilles !

Il était tellement peu crédible en noble que la jeune femme avait percé sa couverture jusqu'au point de savoir son métier - si on pouvait appeler cela un métier. Il fallait dire qu'il avait arrêté les sous-entendus pour jouer franc jeu. De toute manière, les invités étaient bien trop occupés sur leurs danses pour se soucier d'eux le moins du monde. Cela n'en restait pas moins que le jeune homme était désormais aussi rouge qu'une tomate.

Près de deux heures qu'il essayait de donner le change. Ne disait-on pas tant va la cruche à l'eau, qu'à la fin elle se casse ? Eh bien, c'était bon. Elle était cassée. Il était officiellement démasqué. Pourtant, et tout à fait étrangement, Cerise ne semblait pas vouloir lui attirer des ennuis. Au contraire, même. Si elle en avait eu envie, elle aurait pu faire un scandale : hurler qu'elle dansait avec un assassin. Elle n'en fit rien.

Cela le soulagea à un tel point qu'il oublia de se surveiller, et qu'il marcha une énième fois sur le pied de la pauvre jeune femme. Il était inquiet malgré tout. Si le roi apprenait que quelqu'un avait compris, on ne ferait qu'une bouchée de lui. Pire que cela : il allait passer à la casserole - et il n'en avait aucune envie. Désormais, Nathanael comprenait à quel point il aurait dû refuser cette offre, même si les contrats se faisaient rares ces derniers temps et que la faim se faisait sentir. Il avait accepté de manger dans la main du roi et maintenant, ce dernier avait sa vie entre ses doigts.

Nathanael était dans les choux. Complétement et totalement. Pour s'en sortir indemne, il avait avoir besoin d'un miracle. D'un sérieux miracle.

Il ne connaissait pas les plans du roi exactement. Mais une chose était sûre, ils étaient aussi clairs que du jus de boudin. Cette histoire était franchement étrange. Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Même quand votre ventre criait famine, il fallait se méfier de ce que l'on vous proposait. Nathanael avait oublié ces paroles pleines de sagesse. Le roi maniait le bâton et la carotte selon ses besoins. Il avait agité une carotte sous le nez du jeune homme, mais désormais, il ne restait que le bâton. Un effrayant bâton.

Quant à Cerise... Elle n'y était pas allée avec le dos de la cuillère pour lui annoncer qu'elle avait compris. A l'heure actuelle, il semblait à Nathanael qu'il venait de prendre une châtaigne. Il était au moins aussi sonné. Autant on entrait dans ce palais comme on entrait dans le beurre autant en sortir... C'était une autre histoire. Et si personne ne devait sortir de ce bal ? Et si le roi avait décidé de tuer dans l'oeuf tout embryon de complot, et tant pis pour les innocents ? Était-ce envisageable ?

Non. Ce ne devait pas être possible. Après tout, il y avait des loups à ce bal. Des loups aussi dangereux que le roi lui-même. Et c'était bien connu : les loups ne se mangeaient pas entre eux. Lioffel XX ne devait pas être fou - il ne sucrait tout de même pas les fraises ! - au point de mettre tous ces oeufs dans le même panier, de toute manière. Cela voulait dire qu'il avait d'autres solutions que Nathanael. Que ce dernier n'était qu'un pion sur l'échiquier du pouvoir.

Sa détermination était en train de fondre comme beurre au soleil. Mais il ne devait pas se relâcher. Si Cerise avait compris le stratagème, d'autres devaient aussi l'avoir fait. Mais il devait profiter qu'elle ne l'ait pas dénoncé pour en apprendre le plus possible. La presser comme un citron pour en retirer tout ce qu'il pourrait. Tout ce qu'elle savait. Monsieur Tonk serait sûrement un bon moyen de le faire aussi, même s'il se méfiait beaucoup de celui-là. Il était trop sympathique avec lui à son goût : ils n'avaient pourtant pas élevé les cochons ensemble !

Il soupira. Et enfin, la musique s'arrêta. Les couples s'immobilisèrent. Nathanael hésita une seconde. Il devait encore lui parler, mais certainement pas sur la piste ! C'était trop de concentration demandée pour qu'il puisse se concentrer sur le reste. Alors il décida de couper la poire en deux :

- J'vous r'mercie pour l'cours d'danse mais c'pas vr'ment m'tasse d'thé. P't-êt' qu'on p'rrait parler d'ces choses plus loin ? Pour pas s'faire entend' ? S'non, l'roi va m'pend'...

Tous ces culs bordés de nouilles avaient les oreilles qui traînaient après tout. Autant limiter la casse.