| | Dragon Blanc | Six jours avant le bal, 20h37
La dragonne tournait dans sa chambre comme un fauve en cage. Plus le temps passait, moins son esprit trouvait de repos. Elle n’avait jamais été une grande dormeuse mais ces derniers jours, ses nuits étaient ponctuées de nombreux réveils. Sa cage thoracique compressée lui coupait le souffle, l’écho des battements de son cœur était assourdissant et comme à chaque fois, lorsque ce sentiment de stress disparaissait c’était pour laisser place à un incontrôlable et interminable monologue intérieur. Elle en venait à recourir plus que de raison à son péché mignon ce qui ne faisait que l’agacer un peu plus encore. Alors, elle finissait par s'habiller et descendait la Cour s’entrainer jusqu’à ce que l’épuisement la gagne. Les journées n’étaient guère mieux si l’on exceptait les séances d’escrime matinales. Elle était d’une humeur particulièrement exécrable et si elle était connue pour être exigeante, elle était désormais intransigeante. Le moindre écart était sévèrement réprimandé. La nouvelle du retour de Daryl avait été accueilli avec un profond soulagement. D'une part pour Tadriel dont l'hypocondrie commençait à prendre des proportions inquiétantes depuis son départ mais également pour elle-même. Elle se réjouissait de retrouver le médecin qu'elle connaissait de longue date. Une oreille attentive et de confiance avec qui elle appréciait converser de temps à autre dans sa chambre autour d'un petit verre. Il était ce qui se rapprochait le plus d'un ami, sans pour autant l’être réellement : leurs professions respectives laissant entre eux ce petit fossé permanent de distanciation. A son arrivée, Tadriel lui avait certainement sauté dessus. Possiblement littéralement d’ailleurs. La Commandante avec donc préféré laissait quelques jours au médecin pour se remettre de son voyage et s’acclimater à l’atmosphère du Palais, alors en pleine effervescence pour la préparation du bal. Elle s’était finalement résolue, à lui proposer de passer ce soir afin de s’enquérir de son état, de celui du Prince et aussi il fallait bien l'admettre : avec l'espoir secret qu’il puisse l'aider. Parler même à demi-mots lui permettrait peut-être d'apaiser son esprit tempétueux ? Plus le bal approchait et plus la crainte de ne pas être dans son état normal l’inquiétait. Elle ne pouvait envisager une seule seconde que son manque de vigilance n'entraîne une erreur fatale. L’idée que le Prince fut blessé ou pire encore par sa négligence lui était proprement insupportable. Bien sûr il avait son Ombre. Et c’était là son rôle que de veiller sur l’héritier. Mais la simple éventualité que son manque d’attention l’oblige à se mettre en danger par sa faute ne faisait qu’accentuer sa rage intérieure. La dragonne posa son regard flamboyant sur Gardevie soigneusement déposée sur son support mural avant de s'asseoir un bref instant sur son lit. Elle prit sa tête entre ses mains et poussa un long soupir avant de se relever. A nouveau, elle recommença à faire les cents pas jusqu’à ce que son rendez-vous se présente. Levant la tête dans un geste vif, elle l’accueillit : - Entrez Daryl je vous en prie, c'est un réel plaisir que de vous revoir après tout ce temps. J’espère que ce dernier séjour s'est déroulée relativement bien.Relativement, car aller sur le front n'était jamais une partie de plaisir. Varda ne connaissait la situation que par les échos qui lui parvenait et le mot boucherie semblait correspondre à ce qu’il s'y déroulait. Elle avait l’impression qu’il revenait à chaque fois un peu plus morose de ses voyages. Qui aurait pu lui en vouloir après tout ce qu’il devait voir là bas ? Elle se dirigea vers son bureau et s'agenouilla afin d'ouvrir le petit placard. - Il faut bien fêter votre retour n'est-ce pas ? Que puis-je vous offrir ?Sa voix était chaleureuse, comme peu de personne pouvait se targuer de l’avoir entendu. Mais l’agitation de ses membres, trahissait la nervosité qui avait pris possession de son corps depuis bon nombre de jours. |
| | Médecin au coeur tendre | Le médecin avait attendu toute la journée durant que vienne le soir. Mis à part lorsqu’un serviteur ou une chambrière passait le saluer et le questionner sur deux ou trois soucis qu’ils avaient en tête. Avec le recul, non, il n’avait pas eu vraiment le temps d’être dans l’attente de ces retrouvailles. Quatre jours qu’il était rentré et il n’avait pas trouvé un instant pour discuter avec la blanche autrement qu’au détour d’un couloir. Leurs deux emplois du temps respectifs étaient chargés avec le bal qui arrivait. Mais, ils allaient pouvoir y remédier.
Un œil sur la course du soleil par sa fenêtre l’averti qu’il était l’heure. Daryl rassembla en tas ses écrits, attrapa le paquet qui patientait sur une commode et quitta bureau et chambre. Il traversa le couloir, en enjambé régulière, vers celle de l’hôte de la soirée, frappa à la porte qui ne tarda pas à s’ouvrir, révélant une militaire décontractée – sans Gardevie à ses flancs. Le ton de son accueil. La chaleur inhabituelle. L’affection à peine voilée. L’homme se savait privilégié lorsqu’il l’entendait. Ils se connaissaient de longue date, de son entrée dans la garde noire en fait, et le temps avait fait son affaire et adouci les angles entre eux. Bien qu’ils n’avaient finit ronds qu’un fois.
- Ah Varda, le plaisir est toujours partagé, vous savez bien.
La porte se referma derrière lui. Tout ce temps. Le potentiel de ces mots légers, lourd de sens lorsque l’on savait les raisons de ses absences. Avec une barrière baissé, leur relation le permettait, il enchaîna dans un sourire fatigué, souvent caché pour ne pas inquiéter ses patients. Pouvoir se lâcher ainsi faisait du bien.
- Relativement, au mieux, je pense. L’ambiance émulsive du palais m’avait presque manqué.
Il fallait mal le connaître pour penser que l’air palléal puisse lui manquer réellement. D’ailleurs les notes sarcastiques ne laissaient pas de doute. Non, si des choses avait pu lui manquer c’était bien évidement le Prince, ses habituels patients d’ici et leurs veillées, à lui et la Commandante, autour d’un verre. Chacun épanchant un peu plus que leur soif. Il était bon de ne pas avoir à boire seul pour quelques fois. Pour l’un comme pour l’autre.
- J’aimerais ne plus avoir à y retourner… Mon audience avec le Roi est demain… Mais dire que je doute de pouvoir le convaincre est un doux euphémisme. Et vous, le temps n’est pas trop long dans ces lieux ?
Sa mine s’était détériorée au fur et à mesure des phrases qui sortaient, arrachés à sa glotte non sans soulagement de pouvoir se convier à quelqu’un. Il allait très certainement revenir à des souvenirs de guerre au long de la soirée, et l’alcool aiderait à calmer les irritations et fluidifier le passage des mots.
- Il faut bien fêter votre retour n'est-ce pas ? Que puis-je vous offrir ?
Les yeux plissés, lui redonnant son apparence bienveillante, il lui répondit :
- Je vous fais toute confiance, c’est votre domaine que nous avons là. Un sourire, et il conclut, pensif, peut-être un tourbé ?
Il prit chaise et place, déposa son propre apport pour la soirée sur la table. L’hôte régalait en premier. Les verres se remplirent, sur les conseils du fin palais, et se distribuèrent. Daryl, qui avait attendu que tout soit prêt, bien qu’il ait remarqué l’agitation de son vis-à-vis dés son entré, finit par l’évoquer.
- Varda, vous semblez tendue – vous aussi – tout va bien ?
Par déformation professionnel, sans doute, il l’observa assidûment. Rien de physique, à première vu, mais quel tourment pouvait hanter le cœur de l’Inflexible ? Il l’avait peu vu dans un état tel que celui-ci, et d’expérience, il voyait peu une raison professionnel derrière ça.
Il porta le verre pour le humer, impatient – autant que l’on pût l’être avec un whisky de la meilleure réserve personnelle de toute la ville – de savoir ce qu’elle avait pu sélectionner pour ce premier verre. |
| | Dragon Blanc | La voix familière de Daryl la salua. Revoir ce visage si familier lui apporta un court rayon de bonheur rapidement dissipé à la vue des traits tirés du médecins. Chaque nouveau voyage semblait l'affecter un peu plus. Il fuyait le palais pour le front, remplaçant un mal par un autre. Cela la peinait toujours que de le voir, si fatigué. Elle avait parfois l'impression d'être face à la flamme vacillante d'une bougie. Pourtant elle n'avait pas de solutions à lui proposer.
- Relativement, au mieux, je pense. L’ambiance émulsive du palais m’avait presque manqué.
Elle inclina la tête, compréhensive, un petit sourire en coin face à la pointe d'ironie qui avait ponctué sa phrase. Elle savait parfaitement qu'il aurait préféré être à peu près n'importe où plutôt qu'ici, si ce n'était pour le Prince et les quelques personnes qu'il affectionnait.
- On peut dire que vous arriver au meilleur moment dans ce cas. Le palais est une vraie fourmilière avec cet absurde bal qui se prépare
La Commandante chassa d'un revers de la main cette idée qui la dépassait autant qu'elle ne l'inquiétait. Daryl enchaina sur son programme du lendemain. Une audience pour convaincre le Roi de mettre un terme à cette guerre? Sa gorge se noua tandis que ses yeux portèrent sur lui, une triste et compatissante lueur. Varda aurait plutôt employé le terme de Douce utopie que de de doux euphémisme, mais ils auraient sans doute le temps d'en reparler au cours de la soirée. L'heure n'était pas aux sujets fâcheux mais aux réjouissances. C'est ainsi qu'elle se dirigea vers son bureau et son unique petit placard.
- Un tourbé? Excellent choix docteur! dit-elle tout en sortant une carafe en cristal remplit au tiers qu'elle déposa sur le bureau ainsi que deux verres à pied.
- Un whisky estanais de Skogren. Vous m'en direz des nouvelles. Vingt cinq ans d'âge! J'aime tout particulièrement sa petite note caramélisée en fin d'arôme.
Elle déboucha la carafe leur servant deux verres du spiritueux ambré. Ces petits rendes-vous de dégustation avec Daryl lui avait manqué, de même que les discussions qui les accompagnaient. Boire seul n'avait définitivement pas la même saveur que de partager cela en bon compagnie.
- Varda, vous semblez tendue – vous aussi – tout va bien ?
Sa main arrangea mécaniquement sa mèche de cheveux qui s'approchait de son visage sous le regard du médecin. Elle le connaissait suffisamment bien pour savoir qu'il était en train de l'ausculter sans en avoir l'air. Déformation professionnelle. Elle baissa le regard vers son verre qu'elle fit tournoyer.
- Les dernières semaines ont été éprouvantes. Yolmen a pris sa retraite le mois dernier. J'ai donc dû lui trouver un remplaçant dont une Ombre. Je ne pouvais pas laissé Tadriel sans personne.
Elle n'avait pas levé les yeux de son verre. Elle observa les larmes s'écouler lentement le long de la paroi de cristal.
- J'ai nommé Mhilo Cezare à ce poste. Vous avez d'ailleurs dû le constater. Il est le meilleur épéiste de l'ordre et il saura gagner la confiance du Prince je n'en ai aucun doute. C'est également quelqu'un doté d'une grande patience et très pédagogue.
Oui Mhilo avait définitivement bon nombre de qualités et elle ne regrettait nullement de lui avoir offert ce poste qu'il remplissait à merveille. Seulement ne s'était pas imaginé que la situation deviendrait si complexe. Elle bût une gorgée du nectar aux accents de tourbière, se demandant comment évoquer la suite. Par où devrait-elle commencer? Par leur étreinte spontané le jour de sa nomination? Par ses insomnies? Son caractère irascible? Elle poussa un soupir et trempa à nouveaux ses lèvres dans le whisky.
-Mon esprit est constamment envahi de toutes sortes de pensées parasites. De jour, comme de nuit. Daryl... J'en viens à craindre de mettre en danger le Prince le jour du bal si je ne retrouve pas mes pleines capacités... finit-elle par avouer en levant ses yeux dorées vers ceux du médecin. |
| | Médecin au coeur tendre | Dans un mouvement souple du poignet, le médecin savoura les sentences cendrés qui émanaient de son verre. Il a été conquis par le premier Whisky tourbé que la Commandante lui avait fait goûter. Le fumet lui fessait penser à certaines préparations âcres, qu’il avait toujours appréciés.
Skogren ? Ah, ce soir encore ils allaient en voir du pays. Et affiné 25 ans ? Elle sortait du grand choix, mais comment aurait-il pu en douter ? L’alcool était moyen pour le transport spatio-temporel, ce même sans en abuser. Heureux soit les ignorants, mais pauvre d’eux tout de même.
Le verre toujours à la main, sans même tremper ses lèvres, il écoutait les confidences de la dragonne, la fixant calmement. Cendres et confidence de dragon, cela n’annoncerait-il pas des volutes de fumées sans feu n’ayant prit ? Des craintes d’embrasement prochain ? Quelle fournaise pourrait donc avoir le potentiel d’être fatal pour Son Altesse ? Faire vaciller ainsi l’Inflexible cracheur de feu, ces parasites avaient peut-être une tête de fourmis ardente. De petites piqûres multiples, insinuant lentement le poison fatal dans l’organisme, provoquant l'étourdissement. Ce sentiment d’invasion était familier à Daryl. Mais il restait cantonné à son intimité. Là il était question d’une chose bien problématique. Varda, troublée juste dans son travail ?
- Il fallait une ombre, vous avez fait le meilleur des choix. Des manteaux blancs actuels il est le plus à même de remplir cette mission. Mis à part vous même bien entendu, mais vos obligations de commandante vous retiennent.
Bien qu’il y avait un passif entre le médecin et Mhilo concernant l’hypocondrie du Prince, il était évident à ses yeux que c’était le cas. Mhilo était l’ombre toute indiqué. Peut-être même grâce à ces reproches ? Le bretteur était l’un des seuls qui avait su l’atteindre sur ce point sensible qu’était la santé du Prince. Oui, la Commandante avait fait un bon choix. Il aurait été ravis qu’elle prenne le charge du poste elle même mais qui aurait pu prendre le commandement en un temps si court ? Et pourquoi ces tracas ? Elle avait bien agit, n’en était t-elle pas convaincu ? Il fronça les sourcils avant de poursuivre.
- Avec le bal approchant, nous sommes tous sur les nerfs. Il me semble que je vous ai déjà donné ce conseil plusieurs fois, (à chaque fois peut-être) mais n’essayer pas de tout prendre sur vous. Vos subordonnés peuvent vous aider, même ceux qui apparaissent les plus indisciplinés. Sans l'oublier, vous prenez bien trop de ce poids pour vos épaules seules. Aujourd’hui encore si ce petit conseil pouvait vous aider ce serait bien… mais il me semble que le problème est plus profond. Au moins je vous rappel ainsi que vous ne porter pas seule la vie du Prince, même vacillante, vous avez vos arrières assurés.
Son regard se fit plus intense
- Maintenant, il faut éclaircir votre pensée… Quels parasites vous affectes à ce point ? Pourquoi serait-ce annonciateur de péril pour Tadriel ?
Ce point l’avait particulièrement touché. Après tout, ne se sentirait-il pas lui même responsable si il devait arriver quelque ce soit au Prince. D’autant plus cette nuit là. La nuit où chaque son de cloche pourrait sonner le glas. Finalement il porta le verre à sa bouche, prenant une premier gorgé plus conséquente qu’à son accoutumé. La liqueur le réchauffa d’un coup, il ferma les yeux. L’espace d’une fraction de temps. Il voyagea. Sa voix revient, neutre, posé, sans aucune teinte de reproche, fit vibrer l'air d'une dernière question. L’Ultime. Celle qui ne prenait plus de détour.
- Varda, vos doutes vous dévorent bien plus qu’à l’accoutumé. L’arôme de vos whisky ne semble les calmer. C’est inhabituel. Que craignez-vous ?
Affronter les démons des autres pour éviter les siens, une méthode qui venait naturellement. Chacune des questions qu’il venait de soumettre, il aurait pu se les poser à lui même également. Mais avait-il les réponses ? La commande elle même savait-elle ? |
| | Dragon Blanc | Voilà. Elle avait fini par aborder ce fâcheux sujet et il était trop tard désormais pour faire machine arrière. Elle venait d'alimenter la braise de curiosité mêlée de professionnalisme du praticien et elle savait pertinemment que l'embrasement serait imminent. C’était pourtant le seul moyen de tenter d'apaiser ses démons : en parler à quelqu’un de confiance, une oreille qui resterait muette dans ce Palais aux innombrables petites souris.
Il lui confirma que son choix d'Ombre était le bon. Elle en était elle-même intiment persuadée mais l'entendre d'une autre bouche avait toujours quelque chose de rassurant, qui plus est dans ces moments où elle commençait à remettre en doute son discernement et son objectivité. Elle en venait sans cesse à questionner ses choix et à tenter de les mettre en échec afin de s'assurer qu’ils étaient les bons.
- Je vous remercie Daryl. C’est une décision qui n'a pas forcément était bien accueilli par tous. Notamment parmi certains anciens. Mais l’expérience seul ne fait pas tout, vous le savez aussi bien que moi. Quant à prendre ce poste et bien… Vous connaissez ma patience légendaire et mon art de la communication… Je crois que Tadriel se serait fermé comme une huître en ma compagnie. C’était donc parfaitement exclu.
Elle ferma un instant les yeux pour se laisser enivrer des vapeurs d’alcool qui montaient par volutes dans l'atmosphère. Ce côté boisé voire moussue… Elle pouvait presque s'imaginer les lieux sans y avoir mis les pieds. De grandes étendues herbeuses. Marécageuses par endroits. Une forte humidité et une certaine fraîcheur tout au long de l’année. Cette odeur caractéristique de sous-bois et d'humus. Elle ouvrit les yeux, juste à temps pour constater son froncement de sourcil annonciateur d’un reproche ou plus probablement d'un conseil qu'elle reçut à cœur ouvert. Daryl lui avait bien souvent reproché d'en faire trop depuis qu'elle avait pris le commandement. Et il avait sans doute raison. Elle aurait fait le travail des neufs autres Manteaux Blancs si elle avait pu. Non pas qu'elle manquait de confiance en leur capacité, seulement déléguer et accepter de ne plus maîtriser les évènements faisait parti de ces choses qui lui étaient compliquées de faire.
On est jamais mieux servi que par soi-même faisait incontestablement parti de ses dictons favoris.
Pour autant, elle avait l’humilité de savoir reconnaître ses propres faiblesses mais au lieu de les accepter tel quels, elle s’évertuait à les combler. Son travail était sans le moindre doute sa plus grande addiction.
Elle acquiesça lentement de la tête devant ses sages paroles qu'elle avait entendu maintes fois
- Je vous assure que j'essaye mais il n'est pas simple de se battre contre sa propre propension à vouloir le meilleur n'est-ce pas ? Vous le savez tout aussi bien que moi. Nos professions sont différentes et pourtant bien semblable par de nombreux aspects. Nous portons chacun notre fardeau et notre objectif est commun. Mais je vous promets d'essayer une nouvelle de m'y tenir. Si vous voulez bien en faire de même.
Elle leva son verre en guise de toast, un discret sourire étirant ses lèvres carmins, avant que Daryl ne plonge dans le cœur du problème. Elle éluda la première question, ouvrant la bouche puis se ravisant, préférant observer son interlocuteur déguster enfin ce grand cru. Et la question fatidique arriva.
Ce quel craignait? Beaucoup de choses et si peu à la fois. C’était au fond quelque chose de bien insignifiant pour n'importe qui mais pas pour un Manteau Blanc.
Elle avala à son tour une longue gorgée du spiritueux estanais. Une rivière de lave traversa sa gorge avant de répandre sa réconfortante chaleur dans tout son corps. Les notes caramélisées pétillaient encore sur son palais, prenant doucement le pas sur les solides arômes d’humus. Un moyen comme un autre d'affronter la suite de la discussion.
- Qu'en pensez-vous ? Est-ce que cela vous convient ?
Une question honnête à laquelle la réponse lui importait vraiment mais qui se voulait aussi être une veine tentative afin de repousser sa propre réponse. Elle porta à nouveau le verre à ses lèvres mais s’arrêta juste à temps.
- Vous n'avez jamais eu l'impression de vous battre contre votre propre éthique ?
Elle reposa son verre machinalement, ses sourcils se froncèrent sur son regard qui ne quittait plus le médecin.
- Ces derniers temps, je me pose sans arrêt des questions sur nos règles, leur bienfondé, leur légitimité. J'en viens parfois à même les maudire d'exister. Moi. Vous vous rendez compte ? J'en viens à remettre moi en question ces lignes qui nous guident. répéta-t-elle en étouffant un petit rire tant cela semblait absurde.
- Et ensuite je m'en veux. Je me mets en colère contre moi-même, je culpabilise…
Un souffle d'agacement s’échappa des naseaux du dragon retenant les flammes contenues dans ses prunelles.
-Comment voulez-vous que mon esprit soit attentif aux moindres détails s’il est occupé à de pareilles… frivolités ! lâcha-t-elle froidement tandis que sa main s’élevait dans les airs.
Elle ne la retint que juste à temps, évitant de heurter la table avec fracas. La Commandante détourna la tête, en soupirant. A nouveau son cœur s'emballait et menaçait d'embraser le reste de son être en songeant aux quelques secondes d’inattention et d’égarement qui avait fait basculer sa vie. |
| | Médecin au coeur tendre | - Quant à prendre ce poste et bien… Vous connaissez ma patience légendaire et mon art de la communication… Je crois que Tadriel se serait fermé comme une huître en ma compagnie. C’était donc parfaitement exclu.
- Ou bien vous l’auriez formé au joie de la dégustation, et tous deux en seriez sortie avec une confiance mutuelle.
A peine avait-il finit sa phrase qu’il imaginait la progression rapide d’une cirrhose, dégradant le foie de Son Prince. Il avait vivement agiter la tête.
- Non, mais je vous le redis, Mhilo est un excellent choix ! Et quid des anciens ? Sinon qu’ils seront toujours mécontent.
Le médecin avait ensuite enchaîné sur son sempiternel sermon. Commandante, lâchez du leste, 9 autres soldats sont là à attendre cette charge ! Et il avait écouté sa réponse, non sans un soupire.
Ils trinquèrent à leur entêtement mutuel, mais les mauvais plis sont fait pour être repassés, alors Daryl n’avait pu que hocher la tête, victime de lui même et d’une bonne répartie de sa compagne de boisson.
- Bien sur que cela me convient, si c’est ce qu’il faut pour que vous vous décidiez à enfin déléguer un peu à vos pairs. C’est également une cause de la mésentente avec les vétérans, Varda, ils doivent sentir un certain délaissement à vos cotés.
Il fit une pause, un sourire aux lèvres malicieux.
- Pour ma part j’ai déjà commencé, en partageant des années de recherche personnel qui s’entassaient dans mes tiroirs. Des études incomplètes, fragmentées, que j’ai eu grande honte à envoyer. Mais puisque je n’ai pas le temps de m’y consacrer… Ainsi elles serviront peut-être à quelqu’un.
Il s’agissait là d’un maigre exemple par rapport à ce qu’il devrait partager mais changer ses habitudes demande du temps. Cette envie n’avait pas été soudaine, mais longuement réfléchie. Il avait déposé lui même une part de ces colis sur la route vers le front, s’arrêtant dans chaque collège, chaque étude des érudits isolés, chaque lieux ou il savait qu’ils auraient usage de ses papiers noircis. Ce ne fut pas sans une certaine douleur. A chaque arrêt, il s’arrachait un morceau de lui, de l’identité dont il se dépossédait.
Daryl avait ensuite été attentif à toutes les interrogations, les doutes et les culpabilités de la commandante… Comment ne pas s’y retrouver ?
« La déontologie ne m’a jamais posé de problème. Mais dés qu’une situation sort de cet encadrement déresponsabilisant, et c’est un drame que nous affrontons.
Respecter les dogmes peut soulager. Mais pourquoi les suivre aveuglement ? Vous me rappelez ces religieux de Monosen, le nez dans leur Livre, y cherchant réponse à tout. Sans jamais se demander pourquoi les choses sont écrites. Si elles sont vrais. Et si l’idée leur venait à l’esprit, quel déclin ce serait pour eux.
Varda, interroger en toujours chacune des facettes, chaque ligne, les écrits doivent être sources de doutes plus que de certitude.
Pour le code des manteaux blancs – je ne le connais pas par cœur, excusez moi par avance – les préceptes fondateurs sont la protection inexorable du Prince, la volonté de se former au mieux pour parer à toute éventualité, d’être vigilant quant à toute chose en soi et autour de soi et celui de se dét… Oh ? »
Le médecin cligna des yeux. Avait-il comprit quelle chose ? Des quatre préceptes axiomatiques qu’il avait pu déduire des règles de conduite de l’ordre, il ne pouvait en imaginer qu’une seule pouvant poser problème à sa collègue… et encore il restait incrédule.
Il entendit deux écho intérieur Oh ?! Oh ! Il cligna de nouveau des yeux, prit au dépourvu.
Varda serait donc dépassée par ce genre de Parasite ? Son détachement des émotions ou/et d’un autre serait compromis ? Les émotions, elle les évoquaient bien trop volontiers, le problème serait donc ailleurs ? En quatre mois d’absence, que c’était-il donc passé ?
Il prit son verre et une gorgée. Une grande gorgée. Il déglutit les sous-bois et la cendre. Incertain, hésitant. Il n’aimait pas les surinterprétations qu’il venait de faire. Elles manquaient de rigueur ! Que perdait-il à l’évoquer à demi-mot ? Elle pourrait tout aussi bien contester sa déduction. Qu’importe. La voir dans cet état d’égarement ne fessait pas du bien à voir. Il n'était pas curieux du pourquoi de son état, mais souhaitait sincèrement l'aider.
- Varda, il vous faut vous confronter à ces frivolités, comme vous dites, car effectivement, ce pourrait conduire à un drame. Non pas forcément immédiatement, non pas forcément pour le Prince. Non, juste pour vous, un jour. Accepter, Varda. Questionner et accepter, qu’importe la réponse que vous trouvez. Ce sont les conseils de quelqu’un qui est également passé par des tourmentes similaires. Bien que les miennes n’aient pas été contrariées par un quelconque code. Mais par des obligations personnels et morales…
Il confiait là une chose qu’il n’avait jamais dit qu’à une seule autre personne. Confession qu’il avait fait presque malgré lui la fois précédente. Confession qu’il fessait dans un but de soutien cette fois ci. Après tout, c’était il y a bien longtemps, pourquoi continuer de craindre les fantômes du passé ?
- Fuir n’a jamais été une solution. Et vous le savez… tout autant que moi.
Non fuir n’était pas une solution, et il était lui même prêt à ce confronter à ces noirceurs qui le hantait. Les frivolités qu’il avait connu dans sa jeunesse n’étaient rien en comparaison. Avec le recul, il aurait également aimer ci confronter. Il n’avait fait que fuir. Fuir sa vie entière. Fuir en prétendant protéger autrui.
Il restait à fixer la commandante, impassible malgré ces pensées qui revenaient le hanter, attendant de voir si ses suppositions avaient fait mouche. Le verre au lèvre, suspendu. |
| | Dragon Blanc | - Ou bien vous l’auriez formé au joie de la dégustation, et tous deux en seriez sortie avec une confiance mutuelle.Varda afficha un petit sourire amusé à cette idée qui au fond n’était sans doute pas mauvaise. Tadriel vivait dans un nid de soie, choyé et protégé. Il avait besoin de faire de nouvelles expériences. De grandir, enfin. Il n’était plus un petit garçon à présent et l’adversité -si l'on exceptait la frigidite- n'avait que bien trop peu frappé à sa porte. Or dehors, les loups se pourléchaient déjà les babines à l’idée du festin de roi qui les attendait. Elle nota l’idée dans un coin. Non pas de lui faire découvrir les joies éthyliques mais un peu de difficulté et d’ouverture sur le monde réel ne pourrait lui faire que du bien. Ils trinquèrent à leurs travers. Elle devait admettre qu’il marquait un point au sujet de la gestion de son équipe. Un signe de la tête en guise de remerciement et elle ajouta ce nouveau point dans un coin de son esprit. Faire confiance et déléguer. Après tout, chaque nouvelle journée ne représentait pas un danger vital pour le Prince. Elle ne put s’empêcher de faire à nouveau le parallèle avec son compagnon de verre qui devait lui aussi craindre au moindre problème de santé que celui-ci n’emporte la vie de l’héritier. Daryl lui assura de son côté avoir mis la machinerie du changement en route. Il avait fait de la place dans le capharnaüm qu’était son office, cédant par la même occasion quelques bribes de son passé. Enfin… Entre céder des papiers et accepter de ne plus contrôler certaines choses, il y avait un monde. La Commandante n’eut ensuite plus d’autres possibilités que de lui confier les doutes et innombrables questions qui se bousculaient dans son esprit. Il l’écouta sans l’interrompre, d’une attention toute particulière, attitude pour laquelle elle lui était particulièrement reconnaissante. Sa réponse ne se fit guère attendre . Sincère, complète et sans ambages comme toujours. Ses paroles percutantes résonnaient en elle. Respecter les dogmes peut soulager Oui. C’était exactement cela. Il était si simple de suivre aveuglément des règles édités par d’autres et qui semblaient parfaitement légitimes. Tellement simple qu'elle en venait à se demander comment il est possible de les enfreindre quotidiennement. Varda, interroger en toujours chacune des facettes, chaque ligne, les écrits doivent être sources de doutes plus que de certitude.La Commandante baissa les yeux sur son verre songeuse. C'est bien ce qu'elle faisait depuis plusieurs jours, les décortiquer, les analyser, sans pour autant parvenir à une réponse satisfaisante. Toutefois, Daryl avait raison, suivre sans questionner ne pouvait rien amener de parfaitement bon. Était-elle vraiment trop rigide ? Trop dur avec elle-même et les autres ? Cette simple phrase soulevait à nouveau quantité de questionnement sur elle-même. Plus que jamais, elle se confrontait avec elle-même. Puis le médecin commença à évoquer le code de son ordre. Il énuméra les grands préceptes jusqu'à en avaler les dernières syllabes. Varda peigna distraitement sa mèche de cheveux dépigmentés avant de la rejeter en arrière. Elle resta silencieuse, se contentant elle aussi de prendre une longue gorgée du whisky estanais ne laissant qu'une gouttelette dans le fond. Les paroles suivantes la touchèrent plus profondément encore, se gravant au fond de son âme : Questionner et accepter. La fuite n'était pas une option
C’était si simple et si vrai à la fois. Elle observait le médecin qui la fixait, impassible verre à la main. Quelles pensées pouvaient bien traverser son esprit ? Et surtout à quoi pouvait-il bien faire référence ? Elle déboucha la carafe dans un petit son étouffé et laissa le whisky s’écoulait dans son verre sans en proposer à son convive qui n'avait point encore terminé le sien. - Vos conseils sont toujours aussi précieux que justes, mon cher Daryl. Je ne peux démentir vos hypothèses. Il n'y a qu'une seule chose sur laquelle vous faites erreur : je passe mon temps à questionner ces lignes pour y trouver la vérité et pouvoir accepter.Elle observa son verre un instant avant de reporter son regard perdu sur le l’amateur de dégustation. - Seulement, il y a une complexité dans l’équation que vous ignorez. C'est… C'est un autre Manteau Blanc.Prononcer ces paroles lui coûtait cher. Il lui avait fallut tout son courage et toute sa confiance en l'homme de médecine pour se confier. Si cela s’apprenait alors les conséquences pourraient être… désastreuses. - Me sera-t-il toujours possible de donner ma vie pour protéger le Prince sans la moindre hésitation ? Et si la seconde d’hésitation était fatale ? C’est pour cela que ces lignes existent pour nous guider.Elle glissa à nouveau sa main dans ses cheveux, nerveusement. La dragonne s’était confiée plus que de raison. Elle aurait pu lui demander de garder le secret mais elle ne comptait pas lui faire cet affront. Leur relation avait désormais dépassé ce stade. Du moins l’espérait-elle. Le verre de retour entre ses doigts, elle se décida à l'interroger sur ses propres fantômes. - Puis-je oser vous demander à quelles tourmentes personnelles vous faites référence ?Plus qu'une simple dégustant ou que des retrouvailles, cette soirée semblait être celles des confessions. A l'abri des oreilles indiscrètes, il faisait bon se libérer des fardeaux qui pesaient sur les esprits. - Laissez-moi vous servir à nouveau. Le même ? Ou peut-être préfériez-vous essayer autre chose ? Un cognac monosianais peut-être ? Ou un verre de mon domaine ? |
| | Médecin au coeur tendre | Voyant que l’hôte se resservait déjà, Daryl bu une gorgé de ce verre qu’il avait oublié jusqu’alors, là, sous son nez. À en inhaler les douces flagrances. Familières, apaisantes. Il n’avait pas fait d’erreur. Sauf une de que lui indiquait la concerné : elle enchaînait question sur question. Il n’en avait pas été dupe, c’était un fait clair depuis qu’il avait observé les premiers signes de doute chez elle.
- Mais ces interrogations vous apportaient de la colère, vous l’avez dit vous même. Je ne voulais que vous rassurer de la bonne marche à suivre. Accepter les doutes avant de pouvoir affronter la vérité - si tant est-il qu’elle existe. Et non les craindre à en culpabiliser.
Puis le procès qu’elle entretenait en elle fut éclairci d’une information capitale. Un autre Manteau Blanc ? Voilà qui réduisait énormément les possibilités… Mais suspecter de son identité n’était pas des plus utile pour tenter de résoudre l’énigme qui, impitoyable, oppressait l’inquisitrice blanche dans son enquête. Un de ses collègues voulait dire une instabilité de plus pour la vie du Prince et qu’elle puisse s’imaginer dans une disposition où elle compromettait le code dans le cœur de celui-ci. Il était compliqué d’imaginer à quel point ce jugement interne pouvait l’attendre.
- D’où vous viendrait cette hésitation ? De vouloir protéger ce collègue plus que Son Altesse ? Car à sa simple vue vous perdez une part de votre adresse, de votre esprit ? Si je ne m’abuse vous avez un entraînement par semaine avec chacun de vos Manteaux Blancs. Celui avec la personne concernée ne se passe pas bien ? Vous pourrez toujours vous en vouloir après. Les possibilités ne sont jamais exclusses. Mais ce qui vous menace aujourd’hui est de perdre votre discernement à cause de la fatigue engendrée par ces doutes constants.
Vient après, en toute suite logique, la question de son aveu. Le praticien, lui, ne doutais plus. Et quant à ses Tourmentes. De toute celles qu’il avait, celle qu'il évoquait était effectivement celle qui l’affectait le plus à titre personnel. Malgré le temps, il était toujours douloureux de l’évoquer. Il finit le fond de whisky qu’il lui restait et se cacha le bas de du visage derrière une main. Frêle barricade. Maigre soutien.
- Eh bien, comme vous, où de manteau blanc à manteau blanc la situation se complique, c’était une personne d’importance, patiente de son état, que je ne pouvais me permettre… d’aimer. Tout simplement, tout bonnement. Je ne m’en suis pas permis. Comme si il était là un interdit… Rejeter une chose qui s’impose à nous, sur quelque principe que ce soit, n’amène rien de bon. Il rabaissa sa main. Ce rejet n’amène que culpabilité, honte et désarrois. Je ne pouvais occulter, face à votre histoire, cet écho d’un lointain passé.
Il restait évasif, il en était conscient. Sans même être sûr que ces informations soit suffisante pour déterminer de qui il pouvait parler, mais il l’espérait. Il y a des noms qui vaut mieux ne pas rappeler. Il était un accord tacite dans cet entretien. Confiance allait avec secret. Le médecin n’avait jamais déterré de cadavre parmi tous ceux qu’on lui avait confiés. Des confessions on lui en avait tant fait qu’il aurait pu souffler la – plus ou moins – paisible vie au palais en un torrent de suspicion vindicatif. Et jamais il ne pourrait nourrir un quelconque désir de déclencher cette tempête. Tous le savait, dont bien évidement la dragonne. Son trésor serait en sécurité. L’inverse était vrai aussi.
Les souvenirs qui revenaient lui donnait de nouveau soif. Et voici que la blanche écailleuse lui proposait de sortir de sa caverne une autre merveille ? L’érudit avait porté une main vers le paquet qu’il avait ramené.
- Des délices du Monosen je préfère les notes plus anisées. Si il vous reste de cette sambuca que vous m’aviez permis de goûter la dernière fois, j’en prendrais bien de nouveau. Sinon un vin de Mormegil est toujours un plaisir. Il tapota sur son colis. J’offre le prochain verre, un petit rhum sudiste arrangé par mes soins, j’espère qu’il saura vous plaire. |
| | Dragon Blanc | Elle avait décidé de lui confier le statut de son épineux problème. Une prise de risque de sa part. Il aurait pas la juger, la sermonner ou pire encore tout laisser sortir hors de cette pièce. Mais il n'en fit rien et se montra compréhensif et bien plus bienveillant avec elle, qu'elle ne l'était elle-même. Pour le reste, elle savait son secret bien gardé. Un accord tacite qu'aucun des deux n'avait jamais ouvertement signé mais qu'aucun des deux n'enfreindrait jamais. Elle lui fut reconnaissante qu'il ne cherche cependant pas à savoir du quel des cinq il s'agissait même si par élimination les prétendants possibles étaient fort peu nombreux.
Si je ne m’abuse vous avez un entraînement par semaine avec chacun de vos Manteaux Blancs. Celui avec la personne concernée ne se passe pas bien ?
Il avait entièrement raison sur ses craintes. Quant aux leçons d'escrime. Celles-ci constituaient le point d'orgue de sa journée et elles les attendaient toujours avec une impatience non feinte. La Commandante les aurait sans doute multipliées si cela avait été possibles. Ces entrainements se passaient justement trop bien. Il y avait bien ces problèmes récurrents d'inattention et de concentration de l'un ou de l'autre mais cela représentait un défi des plus excitants. Daryl marqua un nouveau point.
- Comme toujours vous avez entièrement raison. C'est à croire que vous pouvez lire dans mon esprit, Daryl. Et le pire c'est que vous le faites mieux que moi-même.
Une éclaircie apparut sur le visage sévère de la dragonne. Fruit de l'alcool ou des langues qui se déliaient, il eut été difficile d'en déterminer la cause exacte. La fatigue accumulée depuis deux semaines étaient définitivement son pire ennemi. Il fallait qu'elle retrouve coûte que coûte le sommeil sans quoi... Elle ne voulait pas non plus s'embarraser de regrets, mais vivre sans ne pouvait signifier qu'accepter l'inévitable. Etait-elle pour autant prête à le faire dès le lendemain? Cela restait encore à décider. Elle pouvait entendre Elderic, son frère, lui dire que la vie était trop courte pour ne pas en profiter. Les paroles des deux hommes se mélangèrent dans son esprit et s'y gravèrent, sans qu'elle ne puisse y faire quoi que ce soit, se mettant à rougeoyer dans une lancinante lumière dès qu'elle s'éloignait de leur chemin. Elle trempa ses lèvres avant de reprendre.
- Les entrainements sont difficiles et le manque d'attention redondant mais lorsque l'on a face à soi quelqu'un avec une maitise telle que la sienne, cela ne force qu'à s'améliorer sois-même. En fait... Ce sont les plus douces heures que celles de l'aube.
Elle l'interrogea ensuite sur son fardeau. Le sien désormais déposait sur l'autel des confidences paraissait bien plus léger. Le praticien acheva son verre avant de passer aux aveux. Ce soir était définitivement la soirée des confidences les plus intimes. Mais parler était parfois le meilleur remède.
- Eh bien, comme vous, où de manteau blanc à manteau blanc la situation se complique, c’était une personne d’importance, patiente de son état, que je ne pouvais me permettre… d’aimer. Tout simplement, tout bonnement. Le Dragon Blanc observait et analysait ses paroles. Instinctivement, un prénom lui vint à l'esprit. Se pouvait-il que? Elle commença à retourner les différentes pièces du puzzle en sa possession mais dans l'état actuel, celles-ci ne s'assemblait que d'une seule façon aussi improbable qu'évidente et cruelle.
Je ne m’en suis pas permis. Comme si il était là un interdit… Rejeter une chose qui s’impose à nous, sur quelque principe que ce soit, n’amène rien de bon. Il rabaissa sa main. Ce rejet n’amène que culpabilité, honte et désarrois. Je ne pouvais occulter, face à votre histoire, cet écho d’un lointain passé. L'éclat dorées de ses pupilles se mua en compassion pour cet homme qui vivrait avec ses regrets éternellement. Son coeur et ses entrailles se serrèrent à l'idée de contempler son propre reflet dans quelques années. Non, elle ne voulait décidément pas de cette vie. Elle posa sa main sur la sienne, espérant lui offrir un maigre réconfort.
- Vous n'y êtes pour rien. Vous avez fait ce qu'il vous semblez juste sur le moment. Et j'aurais sans doute agit comme vous. Il était vain de prononcer le nom de cette personne qui n'était désormais plus que poussière. A trop remuer les limons, ils n'en ressortaient qu'une épaisse et douloureuse boue qu'il faudrait laisser reposer bien longtemps avant de voir les eaux s'éclaircir. Elle lui préféra donc s'en tenir à son devoir d'hôte.
- Il n'y a guère que vous pour apprécier la Sambuca. Laissez-moi donc faire le service. Elle sortit la fameuse bouteille qu'elle versa dans le verre du médecin tandis qu'il lui proposait le prochain verre.
- Les esprits se vident autant que les verres. Je suis impatiente de découvrir ce rhum arrangé. Qu'avez-vous mis dedans cette fois-ci?
Elle n'avait remplit son verre que d'un fond, simplement pour éviter à son invité de finir le sien seul. Elle bu donc la dernière petite gorgée avant de laisser le médecin faire le service.
- J'imagine que vous avez-vu Tadriel depuis votre retour? Comment le trouvez-vous? Mhilo m'a fait part de ses inquiétudes concernant son hypocondrie grandissante et je vous avoue que je commence à les partager. Si quelqu'un s'apercevait de cette faiblesse, j'ai bien peur que les loups ne dévorent notre agneau. Certains y trouveraient même un intérêt tout particulier.
Protéger Tadriel ne consistait pas simplement à l'amener en vie sur le trône, c'était aussi lui assurer la prise du pouvoir dans des conditions optimales. Ce qui n'était définitivement pas le cas en ce moment. Son obsession pourrait s'avérait extrêmement déstabilisante pour le Royaume tout entier et la dragonne comptait bien trouver une solution tôt ou tard. |
| | Médecin au coeur tendre | - C'est à croire que vous pouvez lire dans mon esprit, Daryl.Mais il lisait les esprits. Il les lisait bel et bien, ce depuis son plus jeune age. Une carrière de télépathe avorté au Monosen. Mais pour apprendre la vérité un peu plus à l’est. Il réussissait simplement à lire certain signe dans le comportement de ses proches et à les analyser juste un peu mieux que d’autres. La phrase de la commandante le fit sourire. Mais il ne rétorqua pas. Il prit également note silencieusement des jeux entre manteaux blancs durant les entraînements. Ils empêcheraient Varda de trop douter de ses capacités lorsqu’elle devrait agir en sa présence. N’était-ce pas le mieux pour leur relation à tout deux ? Il lui semblait avoir fait le tour de la question et qu’elle était à présent plus rassuré concernent ces frivolités. Après avoir raconté les siennes, il fut frappé d’un léger mal-être. Mais son air sombre disparu au contact de la main réconfortante de sa confidente. Ses mots en revanche étaient à double tranchant. Je n’y ai été pour rien ? Je n’ai pas su adopter la meilleur décision Mais je n’ai pas été cause pour le mal qui en résultat ? J’en ai même laissé mourir l’héritier… Très certainement Ce n’avait été que destin tragique ? Sordide impuissance apprise Drame aux mains de cruelles ? Qui pourrait l’être ? Je suis le seul dont les mains ont tremblées Il sourit, la remercia d’un signe de tête, mais son cœur se serra à ses pensées. - C’était il y a bien longtemps, Varda, Je… Prenez le simplement comme un avertissement de ce qui peux arriver. Si tout est clair en vous, je suis sûr que tout ira pour le moins.Elle lui ne lui servit qu’un fond du spiritueux monosanais à l’odeur ci particulière. Il n’en voulait pas plus. Tout était pour le mieux, ils se comprenaient par habitude surtout lorsqu’il était question de boisson. À peine rempli, son verre était déjà vidé. Le passage du whisky tourbé à celui-ci laissait un goût étrange, ils ne pourraient bien ce marier dans aucun mélange. Mais le médecin n’y prêta pas plus d’attention. Ce n’était pas là alcool de dégustation. Il déballât la bouteille qu’il avait apportée - Rien d’aussi pimenté que la dernière fois… c’était une tentative que je crois avoir échoué. Les dosages sont plus subtils lorsque le goût est fort. Vanille, cannelle et écorce d’agrume. Ce devrait être plus appréciable.Il fit un clin d’œil, de sous sa cicatrice, et passa au service. Deux verres remplis à un peu plus d’un simple dose. Et alors que les parfums de Sud supplantait ceux de l’Est et de l’Ouest, on en vint à évoquer la principale raison de son office à la cour. - Tadriel ? Oui, bien évidement, vous le connaissez. Au première lueur du lendemain de mon arrivé, il était là, à me faire part des mots qui le tiraillaient depuis quatre mois. Mais rien de grave… Même rien du tout si je dois être juste. Jamais je ne pourrais douter d’être la cause de son obsession. Mais… comprenez moi, si il arrivait du mal à Son fils…Il est mon devoir à présent. Mon seul est unique à présent que j’ai faillis. - Mhilo saura l’en sortir, progressivement, j’en suis sûr. Et si vous l’y aiderez ce sera bien plus simple.A force d’entendre son nom, et bien qu’il essaya d’en faire abstraction il ne pouvait s’empêcher de penser que c’était de lui dont il était question dans les troubles de la Commandante. Et il avait, naturellement, donné une autre excuse à leurs entretiens. - Si certain trouverait des intérêts à prendre le Prince sur ses faiblesses, il n’est pas le seul à en avoir… Les prédateurs qui pourrait renifler trop prés de Son Altesse seront à surveiller, je compte sur vous pour cela, principalement lors du bal. Il continua, pensif. Ils ne seront sans doute pas les seuls à guetter ce soir-ci. Je crains que la fête ne prenne de bien sombre couleur. Il y a tant de tension dans le pays actuellement… Elles pourraient bien être enjeux de la soirée. |
| | Dragon Blanc | Malgré ses paroles et ses gestes qu’elle avait voulu réconfortant, malgré sa réponse et son sourire, elle pouvait ressentir que la vérité en était voilée. Son regard légèrement absent pendant quelques instants ne pouvait laisser de place au doute. Elle aurait voulu en faire plus mais qu’aurait-elle pu lui dire d’autres ? La frigidite… C’était un fléau dont on ne survivait que bien rarement. Elle n’était que l’exception qui confirmait la règle comme on disait. Et aucun médecin n’y pouvait rien. On pouvait atténuer les symptômes mais le combat restait entre les mains du malade uniquement. Comment pouvait-il s’en vouloir à ce point ? Ou alors était-ce de ne jamais s’être confiée à elle ? Son cœur se serra à cette idée. Les relations avec sa mère avaient toujours été houleuses puis franchement désastreuses à son entrée dans la Garde Noire. Elle ne le lui avait jamais pardonné et Varda n’avait eu d’autre choix que de poursuivre seule son chemin, coupant tout contact avec elle. Et puis l’épidémie de frigidite arriva sans frapper, emportant son frère et sa mère sans qu’elle ne puisse plus jamais espérer se réconcilier. Jamais elle ne put ni la voir prendre le blanc ni prendre le Commandement de cet ordre d’élite. Aurait-elle été fière d’elle ? C’était une question qui venait la hanter. Parfois. Elle vida le fond de son verre.
Un avertissement. Les choses étaient dites et claires. Limpides même. Elle acquiesça silencieusement se promettant de faire son possible pour s’y tenir. Lui-même avait achevé le fond de liqueur anisé et déballa sa bouteille de rhum, sous le regard aussi curieux qu’attentif de la dragonne. Elle eut un petit rire à sa remarque concernant sa dernière tentative qui aurait facilement pu lui faire cracher du feu.
- Voilà qui est prometteur Daryl, vous savez à quel point j’apprécie ces arômes. Elle le laissa effectuer le service. Elle pouvait sentir de là où elle se trouvait les effluves douces et suave du rhum. Les yeux clos, elle porta le verre à son nez, humant chacune de ses saveurs. Ses papilles en frétillaient déjà.
Elle profita de ce moment pour aborder le sujet de l’hypocondrie du Prince. Un problème épineux qui ne cessait de prendre de l’ampleur. […]Mais… comprenez moi, si il arrivait du mal à Son fils… - Vous ne vous le pardonneriez jamais compléta-t-elle - Il est comme un fils pour vous. Je le sais parfaitement. Moi-même, il m’arriverait presque de le voir comme tel et je le connais moitié moins que vous-même. Je ne vous demande pas d’ignorer ses demandes. Simplement de… Ne pas entrer dans son obsession.
Ce à quoi le nom de Mhilo arriva sur la table. Entendre ce nom lui laissait toujours un frisson le long de la nuque et elle en profita pour porter le verre ses lèvres.
- Mhilo, m’a informé que Tadriel l’avait fait appeler, paniqué, alors qu’il était dans son bain parce qu’il pelait après s’être frotté trop fort. Nous ne pouvons pas l’aider seul, Daryl. Vous devez y prendre part également. Considérez cela comme une maladie à part entière. Il n’en vivra que plus libre. Je vous en prie…
Il y avait presque une note de supplication dans sa voix. Voir Tadriel ainsi l’attristait. Il n’était pas chétif pour autant. Il avait juste développé une obsession autour de sa santé. Comment lui en vouloir après avoir risqué de perdre la vie et assister au décès de son frère et de sa mère si jeune.
Habilement, Daryl, fit dévier la conversation sur les dangers bien plus palpables de la soirée qui s’annonçait. Elle fronça les sourcils alors que le poids des responsabilités l’assommait de nouveau.
- Vous savez pertinemment que vous pouvez compter sur moi pour nous débarrasser des nuisibles qui roderaient. Je vous rejoins en tout cas sur ce dernier point : cet évènement me laisse un arrière-goût de sang et une déplaisante sensation sur l’échine. Vous pensez qu’il va survivre à la nuit ?
Inutile de préciser qui était le « Il » dans cette ultime question. Un sujet glissant certes mais les deux amateurs de bonnes bouteilles se connaissaient désormais suffisamment pour s’affranchir de certains tabous. Elle en dégusta enfin réellement une gorgée et se laissa gagner par les notes fruités, douces et épicées du rhum. La chaleur du breuvage sentait bon les brûlantes journées sudistes.
- Et bien on peut dire que c’est une réussite Daryl ! Vous savez quand je vous vois, je pense instantanément à ce grand-père que je n’ai pas eu le loisir de rencontrer : Denthedaïn de Mormegil. Vous saviez qu’il avait été le médecin Roi Adharm ? On le décrit comme aussi dévoué que vous à son métier et… bien évidemment bon palais. Je suis sûr que vous vous seriez bien entendu.
Elle déposa sa dague qu’elle ne quittait jamais sur la table : pommeau orné d’un demi-soleil d’or, poignée décorée d’un dragon argent aux ailes déployées qui en formait la garde...
- C’est un présent du Roi à son médecin. Je suis terriblement fière et honorée d’en avoir hérité.
Elle regardait avec une affection non feinte l’arme à laquelle elle tenait comme à la prunelle de ses yeux. Denenthor avait insisté pour qu’elle la récupère alors qu’elle avait fait son entrée au Palais.
- Sa place est à Lioffel, sous ta bonne garde s’était-il contentait de répondre. |
| | Médecin au coeur tendre | Comme un fils Oui, il l’avait élevé pour ainsi dire. Mais non, il était bien plus que cela : il était un lien, au passé, au futur, à la vie. Une suture pour sauver un médecin déficient. L’écho perdura. Un fils. Il ne l’avait jamais considéré ainsi. Ou au contraire l’avait-il toujours fait, malgré lui ? Frappé d’obligation il ne s’était jamais étendu sur la question. Fils L’Enfant-Dieu, fils et fille de tous. Avant d’être incarné par l’amour d’un couple. De vieux mythes lui remontaient en mémoire…
… Quand vient le retour de la question de l’hypocondrie. Daryl ne pouvait rester sourd aux prières que lui adressait la commandante pour venir en aide au Prince souffrant… Mais…
- C’est plus fort que moi, Varda, lorsqu’il vient me trouver pour s’être foulé un orteil, une écharde superficielle ou car il trouve que trop de cheveux sont restés sur la brosse ce matin là… Je l’écoute et l’examine. A cas ou… j’y suis forcé… Il ne s’agit pas de son obsession. Ce sont les prolongations de la mienne qui le tourmente. En tant qu’instigateur de son état actuel, je suis le plus mal placé pour le remettre en cause. Et encore… si j’en étais capable. Non, vraiment, vous deux ferez un meilleur travail, j’en suis sûr.
Mais ce sujet ô combien important n’était pas le plus grand de la soirée. Et après l’avoir rassuré, si tant est qu’il puisse avoir des doutes, sur la sécurité du Prince, la dragonne confia ses impressions quant à la prochaine soirée mémorable qui s’approchait. Jusqu’à poser La Question.
- Vous pensez qu’il va survivre à la nuit ?
Il se tendit, et dans un soupire reprit :
- Ce serait pour le mieux. Mais qui sait ce que cela implique… Il n’y a pas de raison que le sang n’ai à couler. Mais dés qu’il aura commencé, je crains qu’il ne puisse être jugulé. Et si il faut pour arrêter cette hémorragie remonter jusqu’à la source… je crains de ce qu’il arrivera.
Le sujet était sérieux et bien que les arômes de rhum venaient tenter, timidement, d’alléger l’atmosphère, il n’en était rien sur le moment. Les verres restaient sur la table. Les regards sérieux.
Mais une fois le sujet épineux passé, on retourna à la dégustation. Le préparateur avait attendu le jugement de son vis-à-vis sur sa mixture avant de la goûter lui même. Ce qu’il fit, satisfait du verdict, en l’écoutant parler de son aïeul. Et de son prédécesseur. Le monde était vraiment petit, on le remarquait parfois. L’actuel médecin fixa la dague un moment. Il était étrange d’offrir une arme à celui qui soignait. Avait-on craint pour sa vie ?
- Bien évidement que je connais Denthedaïn… Enfin, pas personnellement, mais il a laissé ici quantité d’écrit. Un grand passionné. Je ne pense pas m’avancer en le reconnaissant père de la médecine moderne. Je m’entends avec lui comme l’on peut le faire avec un mentor invisible, nous avons eu une courte correspondance lorsque j’ai du le questionner, il y a bien longtemps, sur certaines de ses recherches. Et au moment de notre première rencontre, Varda, alors que vous étiez toujours dans la garde noire, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ce nom qui avait bercé mes études. De Mormegil. À une famille d’exception, il me semble.
Il sourit, leva son verre en la santé de son maître à penser et de toute la famille et bu une gorgée. Suite à quoi il retourna sur la lame. Les sourcils froncés, un coin de lèvre légèrement pincé.
- Elle est en de bonne main aujourd’hui encore. Mais pourquoi lui avoir offert, entre toutes choses, une dague ?
Cette question le perturbait décidément. |
| | Dragon Blanc | Varda soupira aux remarques du praticien et posa un peu plus violemment son verre qu'elle ne l'aurait voulu.
- Cessez de vous en vouloir pour une chose à laquelle vous ne pouviez rien faire de plus, nom d'un chien! Vous savez aussi bien que moi la médecine n'y peut rien. C'est un combat qui se mène seul avec des statistiques défavorables. Soyez heureux que Tadriel en est réchappé. Vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir, vous n'avez rien à vous reprocher.
Rien ne l'agaçait plus que de voir le médecin, culpabiliser à ce point pour une chose dont il n'était pas responsable. Elle se radoucit cependant avant de reprendre
- Vous êtes le meilleur médecin de ce pays et peut-être bien du continent. Nous avons besoin de vous. On ne peut pas remplir un tonneau qui fuit de tout part! Je sais de quoi je parle Nous avons besoin de vous... Réfléchissez-y je vous en prie.
Elle préféra mettre fin à cette conversation qui pourrait tourner en rond aussi longtemps que les aiguilles de l'horloge se courraient après et dévia la conversation sur le bal. Et sur "Sa" survie. Ce n'était pas le moment idéal mais si le destin décidait de lui faire payer la note de ses actes ce soir, ce ne serait certainement pas elle qui verserait ses larmes. Elle analysa pensivement la réponse de son compagnon de dégustation. Une hémorragie? Varda songeait plutôt à un acte chirurgicale, mais il n'avait pas tord non plus qui savait ce que cela amènerait par la suite?
Ce rhum avait décidément trop attendu pour être dégusté et elle prit enfin une chaleureuse gorgée du breuvage. L'idée lui vint alors de parler d'un sujet nettement plus léger et moins politique: son grand-père médecin.
Non seulement Daryl, le connaissait mais il en était visiblement un fervent admirateur. Elle n'avait pas imaginé qu'il entretenait cette "relation" avec son aïeul.
-Et bien! J'ai beau vous connaitre depuis des années, je ne pensais pas qu'il était pour vous, à ce point un modèle. Pour ne rien vous cacher, je connais assez peu de choses sur sa carrière médicale. Excepté que le Roi Adharm lui vouait un profond respect et une grande confiance. Au point de lui offrir cette dague. Notre famille a toujours été intimement lié à la famille Royale d'une façon ou d'une autre.
Elle reprit la dague en souriant, avant de la lancer dans les airs, comme elle appréciait le faire de temps à autres.
- Elle est en de bonne main aujourd’hui encore. Mais pourquoi lui avoir offert, entre toutes choses, une dague ?
Varda la réceptionna et leva un sourcil interloqué avant que sa bouche ne se retrousse en un sourire amusé
- Sans doute pour délacer les corsets des jolies demoiselles victimes de vapeurs!
Elle ne put réprimer un grand éclat de rire en voyant la tête de son invité.
- Vous ne connaissiez pas le sens de l'humour d'Adharm et mon coureur de jupons de grand-père?
Les flammes des bougies se reflétaient dans ses yeux rieurs, bien trop souvent froids et strictes. Elle reprit son sérieux et lui offrit une réponse en bonne et dû forme:
- Et bien de ce que j'en sais, il s'agit surtout d'un symbole de protection. Serment, c'est son nom. Je pense qu'elle est destinée à protéger la famille royale, c'est pour ça qu'elle est ici. Ce présent est sans doute destiné à ma famille. Pures spéculations que ceci cependant puisque Denthedaïn a emporté son secret avec lui. Volage et mystérieux de surcroit, voyez-vous!
Elle ne s'était en toute honnêteté jamais posé la question. Sa famille avait toujours servi dans les armes, depuis aussi longtemps qu'on s'en souvienne. Offrir une dague lui avait donc semblait parfaitement naturel, médecin ou pas. Après-tout qu'aurait-il pu recevoir d'autres? Un scalpel? Une clé? Une broche? Un collier?
Une chose était sûre néanmoins, elle ferait son office et servirait jusqu'au bout l'un des membres de cette famille. Varda rangea la dague à son emplacement habituel et prit une nouvelle gorgée de ce rhum parfaitement arrangé. |
| | Médecin au coeur tendre | Le médecin avait réussi à échauffer le dragon. C’était assez rare qu’il la pousse ainsi à l’émotion. Mais étrangement toujours pour les mêmes raisons : elle lui en voulait de ce morfondre.
Qu’y pouvait-il si il se jugeait matin et soir pour ce sang qui était sur ces mains. Certes il n’aurait sans doute pas pu les sauver. Mais si il devait y avoir un coupable… c’était bel et bien lui. La médecine n’y pouvait rien, il le savait. Il était celui qui le savait le plus. Mais aurait-il pu faire autres choses ? Et si les croyances qu’il rejetait depuis si longtemps avait été une réponse ? Et si c’était lui qu’on avait cherché à punir ? … Il détestait ces pensées. Il détestait en venir à remettre en doute la base de l’apport des connaissances, ce scepticisme méthodique qu’il avait apprit et qui le guidait dans ses recherches. Il détestait ce lui-même superstitieux qu’il chassait mais qui revenait le hanter dans ses rêves. Mais cette détestation de soi était encré profondément en lui ; Daryl ne pouvait être autre chose que pure culpabilité. Il s’en affranchit un moment pour sourire à sa confidente dans un soupir résolu.
- Vous avez raison Varda, je le sais entièrement… J’aiderais Tadriel au mieux sur la question de son hypocondrie. Après tout le problème est bien épineux. La prochaine fois qu’il viendra me voir… je tacherais de le traiter comme n’importe-lequel de mes patients. Afin de colmater ce tonneau qui se croit ébréché de toute part.
Pourquoi parlaient-ils de Tadriel comme d’un tonneau ? Déjà parlaient-ils de Tadriel en ce tonneau ? On pouvait le regarder sous tout les angles il n’en avait pas l’allure. Daryl se tata le bouc, interloqué.
L’écailleuse ravala sa fumée, avec un coup de rhum pour la faire passer. Mais ils savaient tout deux que la question n’était pas réglée.
Pour alléger, après ces sujets houleux, on évoqua les familles. L’enfance loin du château, les vies d’avant. Il n’y avait pas grand-chose de nostalgique ; c’était plutôt irréaliste. Si différent de leurs quotidiens actuel.
Le praticien regarda Varda jouer du couteau et l’applaudit lorsqu’elle le réceptionna parfaitement. Il lui savait une certaine adresse, mais à ce point ? Il est bluffé. Une gorgée de rhum aux douces épices est bue pour mettre en exergue le spectaculaire de la chose.
- Sans doute pour délacer les corsets des jolies demoiselles victimes de vapeurs!
Il faillit s’étouffer en l’entendant révéler, tout amusée qu’elle était, ce petit élément grivois qui mis en relation avec ce que le médecin connaissait du chercheur prenait une toute autre dimension. La commandante ria et enchaina. Une fois son calme reprit, Daryl s'expliqua :
- Un modèle ? Oh bien plus que ça, il est LA référence en infectiologie mycosique… Et je ne me demanderais plus pourquoi… Merci d’avoir donné réponse à une question que j’aurais espéré ne pas me poser. Et navré de ternir le portrait de votre grand-père de ce détail… disons discutable.
Il se racle la gorge, avant d'enchainer sur l'héritage.
- Serment, donc ? Un beau nom pour une arme qui porte votre blason. Si il pouvait protéger la royauté encore longuement ce serait merveilleux. Je n’ai pas trouvé d’indice, dans les carnets de Denthedaïn, concernant un autre rôle. Mais peut-être voudriez-vous les feuilleter pour vérifier ? qui sait si il n’y a pas de code à l’attention de ses descendants, c’est ce que font certain mystérieux. Je vous les donnerais la prochaine fois. Si il y a une prochaine fois… - Ou vous les ferais parvenir pour que ce soit plus rapide.
Serment. Tessons de toutes vies : Celles des de Mormegil ; celles des Rois ; celles des médecins. Le sien actuellement lui valait ses fréquents déplacement sur le front. Il ne voulait pas arrêter les guerres, ni les morts. Le médecin était plus rationnel. Il voulait juste… Faire cesser les souffrances inutiles. Et c’était pour cela son audience du lendemain.
Ils avaient continué, un temps, à parler de trivialité, avant qu’il ne finisse par soupirer, étant arrivé au bout de ses circonspection. Il prit son verre et voulu boire une gorgée. Mais… « Oh… » il était vide.
- Varda, auriez-vous un conseil pour ce quatrième verre qui s’en vient ? Une nouveauté dans votre réserve peut-être ? Si vous avez eu le temps de passer au tonneau bombée ses derniers mois je suis sûr que vous avez trouvé votre bonheur dans une importation improbable.
Il sourit fatigué et sitôt servi, s’en délecta. Mais sans prendre le temps de détailler ce qu’il avait sur le palais, confia certain autre de ses démons.
- Je ne sais plus quoi faire… Je me bas depuis 4 ans pour tenter d’amener la question de la paix à être traité plus sérieusement… Mais rien n’y fait. Est-ce que mon jugement est obscurci par mon expérience au front, plutôt que de l’éclairer ? Ne prend-je pas ce sujet trop à cœur ?
C’était bien le dernier moment durant lequel il pourrait verbaliser ses douter. Il n’allait pas s’en priver. Demain serait le temps du retour aux certitudes, sans il ne pourrait agir.
- Voir tous ses jeunes gens mourir… Jour après jour… Tenter de les soigner, et échouer tant de fois… Je me demande si souvent si je suis réellement fait pour être médecin. Je suis… je suis bien trop sensible quant à ses questions là. Qui est-ce que je leurres, sinon mes patients, avec mon air froid et mes prétentions opiniâtres ?
Il ne versait pas une seule larme, ses yeux sont légèrement humide de par les vapeurs d’alcool, mais rien ne fessait passer ses dires pour des lamentations. Juste des craintes exprimés crûment, sans pudeur, pour cette dernier fois où il pouvait se le permettre.
- Mais quelqu’un doit bien le faire. J’en ai fais serment, moi aussi. Et tout serment doit être tenu jusqu’au bout, n’est-ce pas ? Tant qu’il est possible de leur voir un bon achèvement c’est qu’il n’est pas trop tard.
Il se reprenait presque tout seul. |
| | Dragon Blanc | Malgré son soupir et le sourire qu’il affichait, elle savait pertinemment que l'affaire était loin d’être classée. Elle avait beau savoir qu’il était sincère à ce moment là, il n'en demeurait pas moins de que demain ou après demain, il serait rattrapé par ses habitudes et la culpabilité qui le rongeait. Elle lui sourit en retour, acquiesçant de la tête. Cela faisait des années que cela durait, des années qu’ils avaient cette même conversation avec à chaque fois un peu d’agacement et de désespoir. Il fallait pourtant se rendre à l’évidence : la situation devenait un peu plus critique chaque jour qui passait et au lieu de jeter de l’eau sur le feu, le médecin remettait de belles buches afin qu’il brûle de plus belle.
- C’est tout ce que je vous demande, traitez-le comme n’importe lequel de vos patients
Rien de tel qu’une gorgée de rhum sudiste pour apaiser les esprits et passer à autre chose. Elle en profita pour évoquer dans un instant de nostalgie son histoire familiale, si intimement lié à la royauté depuis une éternité. Et puis il y avait cet héritage familial, Serment, cette dague offerte à son grand-père pour ses bons et loyaux services. De quoi étonner son invité du soir. Elle ne résista pas à mettre en lumière un point méconnu de la personnalité de son illustre aïeul. Un point que l’histoire ne retiendrait pas et qui ne figurait certainement pas dans les innombrables études médicales qu’il avait pu laisser après sa disparition. Denthedaïn était un coureur du jupons notoire. Toujours galants, toujours agréables et toujours aussi charmé par les gracieuses courbes féminines. Varda crut bien durant un instant qu’il allait en recracher son rhum et cela ne fit que la faire rire du plus belle, accompagnant ainsi son regard qui s’était fait malicieux.
Il leur fallut quelques minutes avant de reprendre chacun leur calme et que Daryl puisse à son tour ajouter sa pierre à l’éloge funèbre de feu le médecin d’Adharm. Pourtant, loin d’en ternir le portrait, elle ne trouva cela qu’encore plus à l’image de celui que l’on décrivait comme amoureux des femmes et de son travail (l’ordre variant sensiblement suivant les jours de ce qu’on avait pu lui rapporter).
-Vous n’en avez pas terni son portrait mon cher, au contraire, vous venez de lui donner un peu plus de relief. Voyez vous-même : personne n’est parfait. ; songeuse : Je me demande ce que ce vieux tas d’os à encore laissé comme secret. On en apprend tous les jours sur son compte !
Daryl lui proposa de lui céder les carnets de son grand-père prochainement afin d’y chercher un indice concernant une éventuelle utilité de cette dague qui à vrai dire n’avait jamais été autre chose qu’une simple arme aussi honorifique que tranchante pour sa part. Cependant, cette discussion venait de piquer sa curiosité et elle accepta bien volontiers -non sans tiquer sur sa dernière phrase- :
-Pourquoi pas, qui sait ce que ce vieux bougre a pu cacher. Il en serait capable. Les mystères c’est notre sport familial parait-il. Mais ne vous pressez pas, vous en avez peut-être plus besoin que moi-même. Il y a peut-être le secret de la conservation de son optimiste en tant que médecin royal
Un court silence s’installa. Leurs verres se vidant plus rapidement qu’ils ne l’auraient souhaité.
- Et bien la logique voudrait que nous finissions ce tour d’Istanyla par une vodka aromatisé au genévrier mais je ne suis pas bien sûr que ce soit très à propos.
Elle n’appréciait guère ce goût trop prononcé mais en amatrice de spiritueux, elle aimait les collectionner et se faire sa propre opinion. Cependant Daryl n’avait sans doute pas envie de se remémorer Birla maintenant…
- Me concernant, cette parenthèse de nostalgie m’enjoint de poursuivre sur le vin familiale, mais j’ai si vous le désirez une petit liqueur d’agrumes de Nallyp qui sera parfaite pour achever ce voyage.
Elle effectua ensuite l’ultime service le laissant se perdre dans les vapeurs d’alcool. Elle écouta ses confessions sans l’interrompre.
- Je ne sais plus quoi faire… Je me bas depuis 4 ans pour tenter d’amener la question de la paix à être traité plus sérieusement… Mais rien n’y fait. Est-ce que mon jugement est obscurci par mon expérience au front, plutôt que de l’éclairer ? Ne prend-je pas ce sujet trop à cœur ?
Oui il prenait ça à cœur. Mais il était une seule des personnes qui ne risquaient pas de repartir avec sa tête sous le bras pourra avoir évoquer cette épineux problème. Etait-ce peine perdu ? Oh oui sans doute. Dire que Lioffel écoutait l’avis de quiconque aurait été se méprendre sérieusement. Elle admirait la pugnacité du médecin à revenir à la charge malgré ses innombrables échecs.
- Voir tous ses jeunes gens mourir… Jour après jour… Tenter de les soigner, et échouer tant de fois… Je me demande si souvent si je suis réellement fait pour être médecin. Je suis… je suis bien trop sensible quant à ces questions là. Qui est-ce que je leurres, sinon mes patients, avec mon air froid et mes prétentions opiniâtres ?
Ces jeunes gens mourir… Oui c’était la vérité. Mais alors que les saveurs taniques du Mormegil inondaient son palais, l’image soudaine de Vaharàn se présenta à ses yeux. Il avait achevé sa vie dans la boue et le sang, écrasé par son propre cheval. Il n’y avait rien de glorieux. Les héros n’existaient que dans les récits pour enfants destinés à leur donner envie de rêvetir l’uniforme et brandir le sabre. Et quand on survivait c’était pour quoi ? Pour finir comme Denenthor ? Borne et infirme ? A ne plus pouvoir faire tout ce que l’on aimait ? A nouveau le breuvage aux allures de sang s’écoula emplit son palais. Cela aurait pu être elle. Non cela aurait dû être elle, si elle n’avait pas été rappelé au Palais juste à temps.
Face à elle, les yeux de Daryl brillaient, légèrement humides, tout comme les siens. Elle hocha la tête.
- Vous avez entièrement raison. Ma profession m’interdit de prendre parti ouvertement mais vous avez là tout mon soutien dans votre entreprise. J’admire votre détermination malgré le chemin pavé d’embuches. Les serments doivent toujours être tenues. Sinon à quoi serviraient-ils ? Imaginez-vous un seul instant cette dague se retourner contre celui qui l’aurait fait baptiser et naitre ? Tant qu’on est en vie, l’espoir est permis. C’est ce qu’ils disent là-bas, sur le front n’est-ce pas ? Le Palais n’est pas différent. C’est simplement un autre genre de champ de bataille où les armes sont les mots et les stratégies des intrigues.
Elle reprit son souffle devant cette tirade, plus enflammée qu’elle ne l’aurait voulu.
- Vous aurez tout mon soutien, aussi longtemps qu’il n’interfère pas avec ma mission, vous le savez pertinemment. Si je peux vous aider je le ferai. Il parait que le Général sera de la partie. Ce sera peut-être l’occasion pour vous de l’approcher et d’en discuter avec lui. Sans parler de nos ambassadeurs respectifs qui ne manqueront pas de participer aux festivités je l’espère. |
| | Médecin au coeur tendre | Combien de fois allait-il encore pouvoir feindre une volonté de paraître plus stables qu’il ne l’était ? En tout cas, le prochain contrôle médical avec Tadriel serait étrange si il réussissait à adopter la position qu’il avait promis de prendre. Étrange… ou juste différent. Normal. Juste un contrôle normal, sans exagération tonitruante, sans prudence hypertrophiée. Normal… il ne semblait rien de plus étrange. Mais… si il le pouvait, ce serait pour le mieux. Minimiser l’hypocondrie du Prince était nécessaire. Ce sujet était maintenant complètement clos.
Après quoi, on en était venu à parler du joyeux luron qu’était le grand-père de la dragonne. Des caractères bien différents si on se fiait à ses dires et aux traces que l’homme avaient pu laisser ci et là au cours de sa vie. Mais cela n’empêchait pas à la petite-fille de comprendre, sans le juger, cet ancêtre. Même confronté à son sujet d’étude de prédilection. Et ni son successeur, ni personne ne pouvait savoir les autres bizarreries que ce fantôme avait pu laisser derrière lui. Mais on l’évoquait toujours avec sourire, il était sûr que ce point lui plairait.
Lorsqu’il lui avait proposé de lui offrir les carnets de son aïeul, la relève des Mormegils avait paru intéressée. Mais lui avait laissé la garde tant qu’il pouvait en avoir usage. Il était cependant sûr qu’aucun conseil de l’illustre médecin ne se cachait dans ces lignes pour conserver une certaine joie de vivre. Il les avait parcourus bien des fois, notant tout ce qu’il pouvait apprendre sur le rôle spécifique de médecin royale, ce laissant convaincre par quelques lignes dont, aujourd’hui, les doubles sens lui apparaissaient. Quelque part, c’était l’existence même de ces notes qui l’avait maintenu dans un optimisme relatif. Cette famille du nord du pays le portait depuis tant d’années. Lioffel aurait-elle pu être celle qu’elle était aujourd’hui sans leur concours ? Ils étaient assurément parmi les plus utiles à cette nation qui l’avait accueilli. Il avait juste conclu par un sourire et un « Parfait, nous verrons cela en son temps alors. » avant que ne s’installe un silence.
À présent les verres étaient vides. La commandante proposa une vodka aromatisée avant de se rabattre sur une liqueur d’agrume, que le médecin accepta avec joie. Il n’aurait pas du tout été contre une vodka birlaise. C’était peut-être là ses plus joyeux moments avec les soldats au front. Le soir autour du feu, à siroter le spiritueux de l’ennemi ; dans un instant suspendu où la guerre cédait la place aux chants. Pour le bonheur de tous, particulièrement des palereux agonissant, pudiquement, derrière les toiles de la tente de l’infirmerie. L’allégresse d’un instant… avant qu’au loin les fracas d’un énième éboulement n’annoncent de nouvelles victimes, interrompant les chants pour les remplacer par des étouffements fiévreux de douleur. Encore… Fatalement.
L’odeur suave et puissante du liquide clair le ramena à la soirée de dégustation et le laissant à ce qu’il allait devoir annoncer… Ce serait le dernier de leur verre pour la soirée. Jamais deux sans trois, mais jamais plus de quatre… excepté une fois (au chalet), il y a bien longtemps, lorsqu’ils apprenaient à se connaître, et que chacun avait tenu à présenter TOUS ses alcools préférés. Ils avaient fini la soirée sans palais, à rire et s’indigner d’un rien et le lendemain, bien évidemment, s’étaient jurés à la modération. Jamais plus de quatre. Pour que la dégustation perdure. L'érudit l’avait attendu, ce dernier verre, pour s’autoriser à lâcher ses hantises de ces dernières années.
La dragonne l’écouta, attentive, compréhensive, légèrement émue par les propres échos personnels auxquels ses mots renvoyaient inévitablement. Chaque mot le libérait d’une part du poids qui l’accablait. Mais il savait ce répit évasif. Et enfin, lorsqu’il eu fini, elle lui répondit, pendant qu’il buvait une autre gorgée de son verre.
Dés les premiers mots, il se reprit. Il s’était tout de même un peu confié sur ce point qui l’oppressait, et la commandante le rassura bien vite. Vous avez tout mon soutien Il savait qu’il pouvait compter sur elle, mais l’entendre, chaque fois, l’amenait à sourire doucement. Daryl était le soutien de beaucoup. Mais de son côté… il n’avait peut-être bien qu’elle. Il hocha de la tête en un signe entendu.
La blanche évoqua également les probables invités. Le général ? Il n’était pas homme à apprécier ces festivités. La trêve lui permettait (ou bien lui imposant) sa présence ici ? Effectivement, il serait intéressant de l’aborder. Mais… serait-il encore temps de parler de la paix ? Tant de choses étaient incertaines.
Daryl se leva, ouvrit la fenêtre temporairement, inspira longuement… avant d’expirer.
« Varda, je sais bien, que vous œuvrez pour la paix d’ici. Mes propres serments ne regardent que moi, je ne saurais vous les imposer. Défendez les vôtres par celui-ci, (il fixa la dague) je suis sûr que le monde sera en sécurité. Mais vous ne pouvez rien contre ces jeux du palais. Ils sont ceux qui amènent le plus de morts, alors même que les équipements ne s’y prêtent pas, à première vue. Je ne comprends que trop que ce puisse être agaçant de vivre au milieu et ne pouvoir adopter la meilleure des positions. Durant le bal, Général, ambassadeur, diplomate, etc. je serais bien amené à leur parler, ne serait-ce que par courtoisie. Merci pour vos conseils. Mais… sur le front, on dit bien plus souvent, à présent, que "tant qu’il subsiste ne serait-ce qu’un espoir, alors la vie est permise". Cette phrase montre bien à elle seule la situation là-bas. L’espoir s’ébranle dans une routine d’enlisement, mais, surtout, même les survivants ont les yeux des morts ; Il y a si peu d’espoir qu’ils en viennent à douter d’être en vie. D’une façon ou d’une autre ça finira… 28 ans c’est déjà bien long… »
Il avait achevé son discours dans des murmures à peine audibles, plus pensif que dans l’échange. Il soupira et referma la fenêtre.
- Les quelques prochains jours vont être longs Varda. |
| | Dragon Blanc | Le quatrième et dernier verre était arrivé. L’ultime verre. Celui qui était désormais leur limite absolue afin que la dégustation ne finisse pas en beuverie de taverne de bas étage comme lors de leur première rencontre. C’était sans doute celle-ci qui les avait tant rapprochés d’ailleurs et avait fait d’eux des confidents de toujours. Car il était désormais bien difficile de savoir s’ils se voyaient afin de siroter quelques alcools coûteux ou simplement pour confier leurs errances personnelles.
Sans doute un peu des deux.
C’est donc sans surprise qu’elle suivit le médecin du regard jusqu’à sa fenêtre. Cette petite fenêtre qui donnait sur la Cour et d’où elle pouvait apercevoir aussi bien la Commanderie que l’aile royale où dormait son protégé. A son tour, elle se leva pour venir inspirer l’air frais de cette nuit d’automne. On pouvait encore entendre quelques grillons chantant timidement dans les bosquets alentours mais bientôt il ne resterait plus que l’hululement intermittent des hiboux perchés sur leur grand chêne. Elle prit une grande bouffée d’air frais, fermant les yeux pour mieux s’immerger dans l’atmosphère nocturne, écoutant du mieux qu’elle pouvait les propos de Daryl. Ce n’était pas le manque d’intérêt pour le sujet qui lui donnait du fil à retorde mais plus la fatigue mêlée à l’alcool qui commençait à la plonger dans un état languissant.
Sa nervosité s’était envolée bien loin désormais. La dragonne avait même l’impression d’avoir retrouvé un ersatz de calme et de sérénité. Cette soirée lui avait même donner une idée qu’elle n’aurait jamais proposer en temps normal : elle allait emmener sa blanche escorte -Prince compris-, profiter d’une soirée à la taverne.
Lorsqu’elle rouvrit, les yeux, elle reprit le monologue de Daryl en route. Elle avait parfois du mal à suivre le praticien qui pouvait partir sur des envolées lyriques (d’autant plus après quelques verres).
- Nos serments sont similaires. Elle, désignanrt la dague ; protègera Tadriel en priorité. « Il » n’est qu’une surveillance collatérale si je puis dire. L’assurance d’un répit supplémentaire pour quelques temps. Comme vous le dites si bien cela finira d’une façon ou d’une autre. Nos deux nations ne pourront bientôt plus supporter le cout de cette guerre. Lioffel vainc. Ou Birla. Mais sans doute personne. Peut-on vraiment désigner un vainqueur après tant de temps et de victimes ?
Elle s’appuya sur le rebord de la fenêtre, sortant entièrement sa tête, le regard perdu vers la voute céleste, constatant comme toujours l’insignifiance de leurs existences dans l’étendue infinie qui se dressait face à elle. La dragon blanc quitta son promontoire, laissant son acolyte refermer la fenêtre non sans un murmure. Sa main se posa sur l’épaule du médecin.
- Pour ma part ils seront bien trop courts. Mais cette nuit là, en revanche, sera interminable
Sans fin, remplit d’une vigilance accrue. Elle savait déjà qu’elle passerait son temps à galoper aux quatre coin du palais, houspiller les gardes et sermonner certains Manteaux Blancs. Elle en était épuisée d’avance et maudissait une nouvelle fois l’absurdité d’une telle fête. Et si malgré toutes les précautions quelque chose lui arrivait ? Elle ne pourrait jamais se le pardonner. Encore plus après avoir donné sa parole à Daryl.
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| | Médecin au coeur tendre | La nuit était si calme. Le cri-cri lancinant des fins de soirées estivales ne rendait que ces instants plus appréciable. Suspendus. Irréels. Étaient-ce là les prémices de la pire nuit du palais depuis longtemps ? La voix de son vis-à-vis d'ordinaire si perçante se glissa dans le décor. Le vent jouait avec la cime des arbres. Plus bas se laissait deviner l'ombre d'un serviteur qui effectuait un dernier tour des écuries.
C'était presque en victime d'une candeur qu'il la vit, hissée sur le chambranle, guetter les étoiles avec dans ses yeux un éclat qu'il imaginait rêveur. Un infini de possible inatteignable. Si le monde était un rêve de dragon, il ne pouvait être un de celui-ci. Trop cruelle. Trop déchu. Quel était le monde qu'elle voyait la haut ? Qu’est-ce qui se dessinait pour elle entre les firmaments ? L'observant songeur, il conclut la conversation.
- Nos nations ne le supportent déjà plus depuis longtemps, je crois… entêtement des jeux politiques, c'est tout ce qu'il reste. Qu'importe qui – et ce même si ce sera très certainement nous – aura le plus d'avantage à la signature du traité, le goût de la victoire sera bien amère.
Daryl la laissa apprécier la vue tant qu'elle le voulait et, quand elle revint sur terre, il referma la fenêtre, coupant un courant d'air dans son élan. La main de la commandante vint se poser sur son épaule. Il la fixa et hocha légèrement la tête face à son soutien. En réponse, sa propre main vint se placer dans le dos de la blanche.
- Je ne vais pas plus tarder, nous sommes arrivés à la fin des verres. Je ne sais pas pour les jours qui viennent, mais cette soirée-ci a été bien trop courte… Sans doute puisqu'elle était la dernière où nous pouvions prendre le temps et l'apprécier avant… L'événement. (il enchaîna avec un petit sourire en coin et un ton légèrement taquin) Passez une bonne nuit, Varda, essayez de ne pas trop penser à l'aube, elle viendra bien assez vite. Et vous pourrez l'apprécier autant que vous le voudrez.
Les us monosianais remontaient toujours en fin de soirée, il la prit dans ses bras en des embrassades caractéristiques de l'ouest, sans accompagner de grandes tapes dans le dos, mais bien plus chaleureusement que les lioffelois en avaient l'habitude. Quelque part il n'avait pas envie de la lâcher, cela aurait été assumer laisser le temps reprendre son court. Incontrôlable. « Je suis fatigué » « je n'en peux plus » « pourquoi continuer de lutter ? » tout ça s'étrangla dans sa gorge. Qui plus est en cet instant précis, c'était faux. Un peu de voyage, de l'écoute et un soutien, s'étaient tout ce qu'il lui fallait. Décrocher. Il la lâcha, puis, retourna à la table, finir son verre, sans se rasseoir. L'alcool adoucissait les notes acides des pamplemousses de la liqueur subtilement rosée.
- Je ferais peut-être voyage pour Nalyp le mois prochains si la situation se calme par ici… C'est un pays qui a l'air intéressant. Et pourquoi pas partir pour l'Est un jour aussi ! Nous fournir à la source ! Un jour…
Il se sentait bien, l'alcool et la parole lui avait vidé la tête pour le moment. Puisse l'avenir ne pas venir pourrir ses projets automnales. Les craintes se tairaient définitivement… d'une façon ou d'une autre. Et chaque pas qu'il effectuait en direction de la porte semblait les ramener, plus vivaces, plus vicieuse. Rien de bon n'arrivera, pourquoi tenter de s'en convaincre ? Pourquoi ces petits moment de joie étaient systématiquement dissous si rapidement ? Il se tourna avant d'ouvrir sa porte de sortie.
- Oui, donc, dormez bien et que les courtes ou plus longues journées nous soient favorables.
Il esquissa un pas, et sur celui de la porte fit une révérence un peu fausse, jouant un respect plus solennel qu'il était en réalité. Militaire de métier, Commandante de titre, Amie de comptoir, Confidente de cœur.
- Au revoir. |
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