Une fois, l’échange terminé avec Varda. Je m’empresse d’aller dans les cuisines afin de concocter un véritable petit déjeuné empli de protéines au jeune homme. De ce que j’avais compris, il avait des journées bien remplie et son métabolisme devait en être à la hauteur, diffusé de l’énergie en continu, du moins, jusqu'au midi.

Il me faut une dizaine de minutes pour réaliser de simples mets – le temps me presse mais je ferais mieux demain matin. Ne connaissant pas encore ses gouts, je dispose viennoiseries, choux à la crème, œufs brouillés, gelée de fraise, cerise, agrumes ainsi que des tartines de beurre accompagné d’un chocolat chaud d’une part et de l’autre, saucisson, jambon, saucisses. Cela peut être fastueux vue d’extérieur mais j’affinerais au fil de l’eau.

Je me fais minutieux sur la présentation, je ne voulais pas compromettre notre premier lien d’autant qu’on enchaînait sur une matière où il avait des lacunes, c’est bien ma veine ! Je prends une grande respiration et j’apporte ce copieux repas à son destinataire. Je déambule dans les couloirs, saluant les habitants déjà à la tâche et je toque afin de m’annoncer. Les gardes m’ouvrent la porte, légèrement surpris de me voir, m’enfin, il leur en faut peu à ceux-là.

Je dépose aussi silencieusement que possible le plateau au bout de son lit, et j’ouvre le dernier rideau pour ne pas l’agresser avec la naturelle lumière extérieure. « Votre altesse @TADRIEL? » Étais-je sous pression ? Assurément oui, la première fois est toujours décisive. Elle se doit d’être parfaite !

6h30 pile.

Ce fut l'heure à laquelle la porte s'ouvrit précisément. Comme tous les matins, en fait. Sauf qu'aujourd'hui, une chose changeait - et pas des moindres : ce ne fut pas Yolmen qui entra. Le vieil homme allait lui manquer. Après des années à le voir, c'était étrange ce changement. Il lui semblait qu'il le connaissait depuis toujours - et ce n'était certainement pas qu'une impression.

Il sentit qu'on déposait un plateau au bord du lit, puis la lumière pâle de la Lune pénétra dans sa chambre, par la dernière fenêtre. Pour ainsi dire, aucun risque de l'éblouir, le soleil n'était pas encore levé à une heure aussi matinale...

- Votre altesse Tadriel ?

Tadriel se redressa dans son lit, et il salua Mhilo d'un signe de tête. Ainsi donc c'était lui que Varda avait choisi pour remplacer Yolmen dans ses fonctions ? C'était lui, sa nouvelle Ombre ? En soi, Tadriel n'avait jamais vraiment parler à Mhilo auparavant - sauf quand les circonstances l'exigeaient. Il ne pouvait pas vraiment se targuer de le connaître, et pourtant, il n'était pas vraiment surpris par ce choix. Sans doute parce que Varda semblait lui prêter une attention particulière... Dans tous les cas, il faisait confiance à la Commandante pour trouver la bonne personne.

Mhilo était Manteau Blanc depuis deux ans, maintenant. Il avait pris la suite de Vahalor Beos sur les conseils de Varda, quand ce dernier était tombé malade d'une infection pulmonaire durant l'hiver - et qu'il y avait laissé la vie.

Perdre un Manteau Blanc n'arrivait pas souvent, mais à chaque fois, son absence causait comme un trou noir pour tout le monde. Et le remplacer, quand on avait la sensation que jamais personne ne pourrait faire le poids, n'était pas tâche aisée. Ni pour celui qui remplaçait, ni pour celui qui devait le choisir.

Vahalor faisait partie de ces hommes que Tadriel avait considéré - et admiré - durant toute son enfance. Ce genre d'homme qui ne pouvait pas mourir aux yeux d'un enfant. Sa mort, si simple, lui avait rappelé avec une vérité criante que n'importe qui, même les hommes les plus forts, pouvait perdre face à la maladie.

Et cela n'avait pas vraiment aidé l'hypocondrie du Prince, déjà bien avancée depuis qu'il avait failli mourir de la frigidite dix ans plus tôt.

Il finit par repousser ses pensées dans un coin de son esprit pour se concentrer sur le plateau qui avait été déposé au pied de son lit. Surpris, il releva les yeux vers le Manteau Blanc qui lui faisait face.

- Tout ça ?

Il avait rarement vu son plateau de petit-déjeuner aussi rempli. Il le prit pour l'observer de plus près. Il y avait de tout. Au sens littéral du terme. Aussi bien des choux à la crème que du jambon et des fruits. Il devait bien avouer que cela le surprenait. Il piocha dedans, un peu au hasard, et débuta son repas.

Il ne savait pas vraiment ce qu'il était censé faire, ou dire. C'était la première fois qu'il changeait d'Ombre et cela lui faisait tout drôle. Finalement, il finit par déclarer en désignant le plateau sur ses genoux :

- C'est délicieux. Merci.

« C’est délicieux. Merci. »

Je lui fais une révérence en guise de remerciement. C’était assez copieux, j’en conviens mais il ne semblait rechigner en le voyant picorer ça et là. Soulagé, que ce repas puisse lui plaire. Je note mentalement, ce qui lui sied le plus afin de ne plus faire de faux-pas.

« Je vais vous épargner l’agenda du jour, je pense que vous le connaissez déjà »

J’ai cru comprendre que ma discipline que j’affectionne grandement n’est guère la sienne. C’est mon défi de mon nouvel emploi. Pas lui faire apprécier autant que moi mais qu’il ne subisse plus ce cours.

« On m’a prévenu que l’escrime n’était guère votre fort. Et dans l’unique objectif de vous aider à vous améliorer, j’aimerais savoir ce qui vous déplaît, gêne ou autre dans cette discipline ? Autant sonder le principal concerné. Soyez libre de votre parole, je ne suis là que pour vous et votre sécurité. Jamais, je me permettrais un quelconque jugement à votre égard. N'ayez jamais peur de me livrer vos pensées et véritables ressentiments. Je serais une tombe. »

Je lui souris pour l'encourager à me parler. Créer un lien solide dès les premières minutes et l'enrichir au fil de l'eau. Je ne sais pas encore comment nous comporterons mais si j'avais bien compris, être professionnellement proche de lui. Un funambule sur son fil, mon impression. J’avais déjà une idée pour le cours d’aujourd’hui mais je voulais m’assurer que je ne fonçais pas dans une grossière erreur. Tout en le questionnant, je lui prépare de quoi se laver ainsi que sa tenue d’escrimeur.

Mhilo s'inclina devant lui, et Tadriel continua de manger. Il était au moins reconnaissant au Manteau Blanc de lui épargner le programme du jour - chose que Yolmen lui récitait tous les matins, alors qu'il restait le même depuis des mois, voire des années.

Il fallait reconnaître que ce n'était pas le moment le plus passionnant de la journée, et si Mhilo changeait cette habitude, il gagnait un point dans sa relation avec le Prince. Ce dernier, d'ailleurs, enchaînait déjà - sur une question aussi surprenante que la première, du point de vue de Tadriel :  

- On m’a prévenu que l’escrime n’était guère votre fort. Et dans l’unique objectif de vous aider à vous améliorer, j’aimerais savoir ce qui vous déplaît, gêne ou autre dans cette discipline ?

C'était peu dire. L'escrime n'était pas son fort, d'un point, mais en plus il détestait cela. Purement et simplement. Pourtant, personne n'avait jamais essayé de connaître les raisons de son refus de combattre - tant et si bien qu'il n'avait jamais cherché une réponse digne de ce nom.

La question le prit ainsi au dépourvu, et il dût s'arrêter de manger, le temps de se recentrer pour pouvoir lui donner une réponse.

- Soyez libre de votre parole, je ne suis là que pour vous et votre sécurité. Jamais, je me permettrais un quelconque jugement à votre égard.

Tadriel releva les yeux, planta son regard dans le sien et se leva en repoussant le plateau - pas fini, mais bien entamé : il n'avait plus faim. Il déclara sans détour, puisque Mhilo l'y encourageait :

- Je n'aime pas parce que je n'en trouve pas l'intérêt.

C'était l'une de ces choses que Tadriel ne comprenait pas.

Après tout, il était protégé plus que quiconque dans ce palais. Il était constamment suivi par son Ombre, et pour ainsi dire, par l'une des meilleures fines lames du royaume. Alors à moins que l'un de ses propres Manteaux Blancs ne l'attaque - ce qui était parfaitement inconcevable ! - aucune lame ne pourrait l'atteindre. La seule autre manière qu'il estimait possible était le poison - mais alors, toute l'escrime du monde n'y changerait rien.

Quant à la question épineuse de la guerre... il avait bien l'intention de signer la paix dès qu'il serait sur le trône.

- Pourquoi s'entête-t-on à apprendre aux jeunes gens à escrimer ? Après tout, sans combat, pas de guerre et pas de mort, demanda-t-il enfin, avec une logique irréfutable, qu'il voyait mal comment on pouvait démonter.

« Je n'aime pas parce que je n'en trouve pas l'intérêt. »

Ainsi donc le jeune Prince ne trouve aucun bénéfice dans l’Escrime. Cela me sied mais je ne montre rien. C’est un noble Art afin de se défendre et de permettre de cruciales et mortelles attaques. On l'oublie bien trop souvent !! J’allais donc devoir lui prouver cela. Je refrène un soupir la tâche allait être ardue.

« Pourquoi s'entête-t-on à apprendre aux jeunes gens à escrimer ? Après tout, sans combat, pas de guerre et pas de mort. »

Je détourne le regard tant ces raccourcis m’hérissent l’échine. Que Diable, lui apprenait-on ?! Ou bien, s’efforce-t-il de se fabriquer une utopiste opinon  ?

« Majesté, sans aucune offense à votre encontre, les licornes n’existent pas, si c’était aussi aisée de mettre  en application les propos que vous tenez, je ne serais pas ici, je n’aurais pas une sublime cicatrice barrant mon visage et tous les royaumes prospéraient. »

Je parle doucement, ce n’était en rien un jugement. Enfin, un peu. Mais, je me devais de respecter son avis. Il demeurait un sage Prince et l'espoir du royaume, après tout.

« Mais vous savez quoi, aujourd’hui, nous allons déplacer l’escrime et aller à la bibliothèque, j’aimerais avoir un avis plus détaillé de votre opinion sur les guerres que nous menons pour la .. Sécurité de nos royaumes. »

J’avais déjà le mien, parfaitement lucide. Mais ce n’était pas mon devoir de l’exprimer à haute voix. J'ai été chaire à canon, affecté à la Stratégie, vu et subit des horreurs mais je ne pouvais le blâmer d'ignorer la réalité du terrain.

« J’aimerais clairement savoir comment faites vous pour un pas de combat, pas de guerre, pas de mort, cela me rend très curieux et je sens bien que vous allez éclairer ma lanterne. » Pointe de malice dans la fin de ma phrase.

Je dépose sa tenue du jour, délaissant celle de l’escrimeur pour le moment. Ne croyez pas qu’il y échappera mais il y a déjà tout un travail à faire, que cela vienne de lui. Une pensée pour Varda, une heure que je suis Ombre et je chamboule déjà le sempiternel programme de notre Prince. Puisse ma tête rester encore une ou deux heures de plus.

On toque à la porte, je réponds, sur mes appuis, prêt à parer une quelconque attaque. « Pardonnez Majesté et .. Manteau Blanc mais le bain est prêt » Je ne rectifie pas mon titre, moi-même, je n’y crois encore. Je remercie la demoiselle et reporte mon attention vers Tadriel.

« Vous m’excusez mais je resterais dans votre chambre, pour ne point porter atteinte à votre pudeur. Mais criez s’il le besoin d’aide se fait sentir » J’en viens à m’inquiéter qu’on puisse l’attaquer dans son habit de nouveau-né. C'en serait bien gênant pour mon premier jour.

Cette nouvelle position va me tuer, bien avant la Dragonne, je le sens.

Je n'aurais pas une sublime cicatrice barrant mon visage.

Bon d'accord, son raisonnement était peut-être enfantin. Peut-être pas assez nuancé. Mais en soi, n'y avait-il aucun fond vrai ? Sans arme, il n'y avait pas de mort. Qui avait inventé ce concept, déjà ?

Enfin, bien sûr, la cupidité existait dans tous les cas. Et avec cela, le meurtre - car la guerre, c'était cela, une forme de meurtre collectif - ne pourrait être aboli.

Même si Mhilo parlait doucement, Tadriel percevait une légère pointe de jugement dans sa voix. Bon, d'accord, son raisonnement était peut-être ridicule - ou tout du moins, invalide. Dans tous les cas, lui il ne voulait pas participer à cela. De cela, il en était certain.

Sa remarque avait au moins un avantage - et non des moindres - qui consistait à déplacer l'escrime. C'était toujours cela de gagné ! La bibliothèque était tout de même un lieu qu'il préférait beaucoup plus que le terrain d'entraînement. Là-bas, on pouvait lire des choses intéressantes. De toute manière, Tadriel n'avait clairement pas la carrure d'un guerrier.

Et pour illustrer ses propos, voilà que Mhilo déposait sa tenue d'escrime. Ce fut à cet instant que l'on frappa à la porte, pour annoncer que le bain était prêt. Et à Mhilo de déclarer :

-  Vous m’excusez mais je resterais dans votre chambre, pour ne point porter atteinte à votre pudeur. Mais criez s’il le besoin d’aide se fait sentir.

Tadriel ne voyait décidément pas ce qui aurait pu lui arriver en se lavant mais il hocha la tête malgré tout. Sûrement Mhilo était-il aussi inquiet que lui face à cette nouvelle journée qui scellerait certainement une grande partie de leur relation à venir. Sans plus attendre, il le laissa dans sa chambre.

Il entra dans l'eau chaude et s'y prélassa quelques minutes avant de passer au lavage quotidien. Pendant lequel il se frotta vigoureusement, comme à son habitude. Jusqu'au moment de pure panique où il se rendit compte que la peau de son poignet pelait. Durant une seconde, il ne put faire taire une sourde angoisse qui remontait et lui soufflait qu'il était malade - et qu'il allait mourir.

Mais résolument il secoua la tête. Non, il n'en était plus à ce stade-là maintenant. C'était inutile de craindre pour sa vie pour si peu. Il plongea ses mains dans l'eau mais fut incapable d'orienter ses pensées vers autre chose.

Qu'est-ce que Mhilo avait dit déjà ? Que s'il avait un problème, il pouvait appeler ?

- Mhilo ? hasarda-t-il en essayant de contrôler la légère note d'hystérie dans sa voix. Vous pouvez venir ?

Il passa de nouveau son pouce sur son poignet puis, comme la peau continuait de peler, il frotta plus fort. Quand la porte s'ouvrit, il tendit son poignet à Mhilo et demanda précipitamment, en le frottant toujours plus vite - en en oubliant les règles de bienséance selon lesquelles il devait vouvoyer son Ombre :

- Regarde ! J'ai la peau qui s'en va ! Il va rester que mes os, on commence déjà à les voir !

« Mhilo ?. Vous pouvez venir. »

Je crains le pire quand mon prénom est prononcé. Je ne vais jamais faire long feu dans mon rôle, c’est assurément. J’expire lentement pour rassembler tout mon courage et je pose ma paume sur Cendres et j’entre prudemment dans la salle d’eau. Heureusement, Tadriel ne s’était pas levé, je n’étais pas encore prêt à découvrir tout son être de la sorte.

« Regarde ! J'ai la peau qui s'en va ! Il va rester que mes os, on commence déjà à les voir ! »

Je bloque quelques secondes, clignant des yeux plusieurs fois. Je m’attendais à une attaque, un animal entré par irruption mais pas une peau qui pèle. Et encore moins à ce qu’il me tutoie. M’enfin, ce n’est qu’un détail. Je me mords la langue pour ne pas éclater de rire. Un apeuré petit garçon dans son habit de naissance. C’en est attendrissant, il faut bien l’avouer.

Mort de rire. On va l’écrire de l’épitaphe de ma tombe. « Sachez votre Altesse que c’est normal... A frotter comme vous le faites, à en croire les rongeurs sur votre bras, vous agressez votre peau. Donnez-lui un peu de douceur, vous en serez tout aussi propre. »

Sans le réaliser, je viens lui prendre des mains l’éponge, et frotte le savon contre avant de le laver plus doucement, par mouvements circulaires. Et un ainsi, sans voir son oiseau, je le lave, lui demandant de me présenter chaque partie de son corps jusqu’aux orteils près. On passe à la chevelure, profitant de lui faire un massage du cuir capillaire. On repassera pour la pudeur. Cela me rappelle les bains avec le petit frère.

Petites attentions faites, je le laisse laver ce que je refuse d’approcher. Et j’en profite pour attraper deux serviettes. Je ferme les yeux et lui demande de se couvrir et j’attaque le séchage des cheveux mécaniquement. Je suppose que tout deviendra rituel. « Je vous laisse vous habiller mais je serais à côté, au cas où. Votre tenue du jour est sur le portant. » Et pas pour un bout qui tombe s’il vous plait.

Je repasse dans la chambre, riant silencieusement. Quelques minutes et il réapparait. « Si nous croisons le Drag… Varda, je lui expliquerais pourquoi nous nous dirigeons vers la bibliothèque » Ou sinon, vous courrez le plus vite possible en slalomant pour éviter les flammes. Je ne sais pas si c’est une bonne stratégie mais bon, il faut un début à tout.

Reprenant une attitude plus sérieuse, on quitte ses appartements pour se diriger vers les lieux en question. « Parlez-moi de vous. Que faites-vous comme loisirs ? » Hormis hurler pour une peau agressée par vos soins.

Tadriel avait conscience que c'était ridicule - une voix lui soufflait au fond de son cerveau que ce n'était jamais que de la peau qui s'enlevait, que cela n'avait strictement aucune influence sur quoi que ce soit mais que surtout, c'était inutile de paniquer. Malgré tout, il résidait tout de même cette seconde petite voix, plus sifflante, plus sournoise, qui lui assurait que ce n'était pas normal.

Il y avait des chances pour que ce ne soit rien, certes. Mais il y en avait aussi pour que ce soit les premiers signes d'une grave maladie qui ...

- Sachez votre Altesse que c’est normal... A frotter comme vous le faites, à en croire les rongeurs sur votre bras, vous agressez votre peau. Donnez-lui un peu de douceur, vous en serez tout aussi propre.

Tadriel s'arrêta, surpris, et jeta un regard à Mhilo qui lui prenait l'éponge de la main pour frotter le savon contre. Ce ne pouvait tout de même pas être lui qui provoquait cela ? Mais voici que ce n'était plus lui qui se lavait, mais Mhilo qui le faisait pour lui. Tadriel était bien obligé de reconnaître qu'il frottait plus fort, quand il s'en chargeait.

Bon.

Peut-être qu'il avait une plus grande implication que ce qu'il avait cru.

Puis, vint le moment de sortir de l'eau, et Mhilo eut la bienséance - sûrement autant pour lui que pour l'initimité de Tadriel - de fermer les yeux en tendant la serviette. Le Prince s'enroula dedans et laissa sa nouvelle Ombre lui sécher les cheveux. Cela fit remonter à la surface quelques vagues souvenirs.

Sa mère le faisait souvent, de son vivant. C'était un des rares moments passés en sa compagnie qui lui restaient. En fait, Tadriel n'avait que de vagues souvenirs de ce qui s'était passé avant la frigidite, mais de sa mère, il se rappelait son odeur, et la douceur de ses mains. Cela le fit sourire vaguement.

Mhilo repassa dans la chambre, et Tadriel sortit de sa rêverie pour s'habiller. Quand il fut fin prêt, il revint dans la chambre à son tour - toujours pouvoir totalement chasser l'hypothèse d'une potentielle maladie... Mais il ne fit aucun commentaire à ce propos, parce qu'il croyait encore lire une lueur amusée dans les yeux du Manteau Blanc.

Il suivit Mhilo en dehors de la chambre, et prit le chemin de la bibliothèque - puisque c'était par ici que débutait la journée... Il prit le temps de réfléchir à la question, tentative de conversation pour lier connaissance certainement.

Ses loisirs ? Eh bien.

- J'apprécie grandement le théâtre, enfin, à regarder s'entend.

Il ne s'étendit pas plus sur le sujet, parce qu'il n'était lui-même pas si persuadé de savoir ce qu'il appréciait. Il lui retourna la question :

- Et vous, Mhilo ? Avez-vous le temps pour de quelconques loisirs ?

Il se doutait bien que Manteau Blanc ne laissait pas beaucoup de temps libre - encore plus quand on était Ombre.

« J'apprécie grandement le théâtre, enfin, à regarder s'entend. »

Je hoche la tête, plaçant conjointement ses mains dans mon dos. Nous partons en direction de la bibliothèque, longeant les différents couloirs. Les uns et autres s’inclinent en apercevant le Prince. Je me tiens aux aguets, prêt à défendre le Prince, au péril de mon être. Je me rends compte que j’ai probablement bafoué l’Etiquette en le lavant mais il ne semblait pas déprécier que je puisse accourir que comme une mère aidant son petit. M’enfin, c’est trop tard. Et je ne doute pas qu’il saura me le dire, si cela le dérange.

« Et vous, Mhilo ? Avez-vous le temps pour de quelconques loisirs ? »

Je le toise en biais et rit doucement. Je prends le temps de la réflexion. Etonnement, j’en avais quelqu’un mais peu de temps, il fallait bien l’avouer.

« Est-ce qu’aller dans les cuisines quand la plèbe dort est un loisir ? Mais j’aime beaucoup peindre, monter à cheval, de l’escrime bien évidemment mais aussi nager à la rivière, cela met en forme. Mais bon, je doute pouvoir en faire à présent. Sauf si vous souhaitez m’accompagner. »

Nous entrons dans la Bibliothèque et chacun se lève pour saluer le Prince. Et il valait mieux, je n’aurais guère apprécié un tel écart. C’est culotté vu mon acte dans la salle de bain. M’enfin, je doute que cela deviendra une habitude.

« Je vous propose d’étudier la scène d’une pièce de théâtre que vous aurez sélectionné et de m’expliquer la raison de votre choix »

Ce n'était pas un reproche. C'était ainsi. En tant que Manteau Blanc, Mhilo n'avait que peu de temps libre. Désormais qu'il était Ombre, il en aurait encore moins. C'était un état de fait entièrement normal et en acceptant de s'engager, Mhilo l'avait accepté.

Malgré tout, cela mettait Tadriel mal à l'aise. Se dire que pour sa protection, Mhilo n'avait plus la possibilité de faire ce qui lui plaisait... Ni peinture, ni équitation, ni natation... A moins qu'effectivement, le Prince ne le suive. Eh bien. Cela pouvait être une idée. Ce n'était pas vraiment les choses que préféraient Tadriel mais soit. Pourquoi pas.

- Alors vous peignez ? Vous avez fait beaucoup d'oeuvres ? Je serais curieux d'en voir quelques unes si vous acceptez de partager votre art.

Sur ce, ils entrèrent dans la bibliothèque. Une grande pièce, plus longue que large, avec quelques lecteurs silencieux plongés dans leurs documents et des livres du sol au plafond. Beaucoup trop pour avoir assez d'une vie pour tous les lire. Tadriel était toujours ébahi par la quantité de savoir que pouvait contenir cette pièce.

A son entrée, tout le monde se leva avec respect. Tadriel aurait aimé pourtant passé plus discrètement mais c'était peine perdue. Pour suivre l'étiquette, il adressa un signe de tête général pour les saluer à leur tour et eut un geste de main, pour leur signifier que chacun pouvait retourner à sa lecture. Tout cela dans un parfait silence. Même quand les personnes présentes se rassirent, il n'y eut pas un crissement de chaises.

- Je vous propose d’étudier la scène d’une pièce de théâtre que vous aurez sélectionnée et de m’expliquer la raison de votre choix.

Dans le silence ambiant, Tadriel avait l'impression que Mhilo parlait très fort. Et pourtant, c'était à peine plus d'un chuchotis... Dans tous les cas, le Prince n'hésita qu'une seconde avant de se diriger vers une des étagères centrales. Il ne s'était pas attendu à cette consigne mais le choix lui apparaissait évident.

Il sortit un épais registre - rarement utilisé vu la poussière - et le feuilleta pour trouver la page. Il avait lu ce recueil une bonne dizaine de fois. Et une bonne dizaine de fois, il avait eu envie de le reprendre. Une pièce peu connue, décrivant à son avis, fort bien la guerre.

Il s'approcha d'une table pour y poser le lourd registre et tourna avec grand soin les différentes pages. Puis, il finit par trouver la page en question. Triomphalement, il posa son doigt dessus.

- À cet endroit, l'auteur parle de l'inégalité de la guerre. C'est le moment où le Général donne le dernier assaut en espérant remporter la bataille finale, et en misant tout sur un paramètre très hasardeux : le temps qu'il fera dehors. Vous pouvez lire si vous voulez.

Il fit une pause et ses yeux se posèrent sur les derniers vers de la page.

Lioffel a vaincu.
Lioffel vaincra encore.
Lioffel vainc.