Clémence noua sans sourire les deux pans du haut de sa robe blanche derrière sa nuque. Le simplissime vêtement qui tombait autour d'elle laissait simplement nu son dos marqué, et ses longs bras fins. Un coup d’œil au miroir pour voir la porte de la chambre s'ouvrir. Une domestique silencieuse apporte les bijoux et repart sans parler.

La dame se pare de longues boucles d'oreilles, d'un diadème fin. Elle va pousser le loquet de la porte. Tire un rangement, dans lequel elle choisit une arme : une dague originale, car la lame n'est pas de métal mais de pierre. Du diamant.

Clémence pose l'objet sur un meuble, se penche et roule un pan de sa robe jusqu'à cuisse. Sa jarretelle, blanche aussi, fine dentelle, servira de fourreau. Elle y glisse la lame affûtée avec un excès de précaution. Le manche en ivoire, assez plat pour ne pas créer de relief sous le tissu léger, ne dénote pas dans l'unité immaculée de la toilette.

Un beffroi sonne les 18h15. Le palais est à deux pas. Inutile de se presser, elle a encore des choses à régler. Le loquet est de nouveau poussé, dans l'autre sens. Elle descend d'un étage dans la demeure élégante, l'escalier sent bon le bois frais verni. Elle se glisse dans un corridor sombre, jusqu'à une porte de chêne, pousse le battant, entre dans un bureau.

La grande fenêtre donne sur la cour en contrebas. Shanniv vient de partir. Elle s'installe derrière le bureau en habituée, ses longues mains fines cherchent sous le plateau un interstice secret. Elle trouve, pousse de l'index.

Déclic.

Voilà la cachette où elle range quelques documents d'importance qui s'ouvre d'elle-même. au milieu des feuillets, un flacon. Le sourire toujours absent, Clémence le saisit. Il est en forme de coeur, et la pigmentation du verre est rouge incarnat. Elle tire le bouchon qui se dégage en un "plop" comme chuchoté et elle hume le parfum qui se dégage du contenant. Cette fois le coin de ses lèvres frémit un peu. Elle rebouche le flacon et le laisse sur le plateau du bureau, avant de s'emparer d'une enveloppe crème au liserai doré. Un grand soleil tient le milieu du papier. Clémence glisse le pli à la taille de sa robe, et enfin, elle sort un tube de carton du fond du tiroir. Quelques instants plus tard, elle observe une dernière fois les notes d'un architecte consciencieux, les mémorise, ou plutôt rappelle à elle la mémoire qu'elle en a. Elle s'empare d'un papier, d'une plume, d'un encrier, et veillant à ne pas se noircir les doigts elle écrit un billet qu'elle plie en quatre. Ensuite, elle range tout cela, garde le billet au creux de sa main, laisse ostensiblement le flacon de parfum rouge sur le bureau et sort.

Dans la cour, le bruit des roues d'un attelage sur les pavés l'avertissent que sa voiture est avancée. Elle confie le billet à la domestique muette qui l'attend au bas de l'escalier, et sans un mot de plus, enfile un manteau et sort.

***

El' s'était préparé minutieusement pour se rendre au palais. Se parer de la sorte lui avait coûté un bras, mais puisqu'il s'agissait de faire l'idiot à un bal royal, il n'y avait pas été de main morte sur la dépense. Pour une fois que ces économies ne partaient pas en boissons ... Etre à l'heure n'aurait servi à rien. Non. Il devait produire son effet quand un grand nombre de personne serait déjà présent. Une petite surprise. Et qui sait ça plairait peut-être ? Le plus compliqué dans toute cette opération avait été de se procurer un carton d'invitation, par chance un musicien bourré avait laissé traîner le sien dans l'auberge où il résidait.

La file d'attente s'était amoindrie mais les regards se tournaient à son passage. Un emplumé haut en couleur se dirigeait avec la démarche caractéristique de sa race, c'est-à-dire par petits sauts, vers le garde qui contrôlait les entrées.  El' n'avait pas peur du ridicule. Il était impossible pour qui se trouvait là de ne pas le voir. Il portait des collants d'un jaune criard jusqu'au genou, une culotte bouffante réhaussée de plumes multicolores ainsi qu'un justaucorps du même acabit. Son masque noir à plumes lui dissimulait entièrement le visage, seuls ses yeux étaient visibles, sa bouche étant dissimulé par le faux-bec qu'il arborait. Pour une fois sa couleur de cheveux, accentuée pour l'occasion, ne lui portait pas préjudice, et complétait bien ce détonnant mélange.

A son bras pendait un panier contenant de la nourriture. De l'autre main, il tendit le carton d'inviation au garde. El' savait bien qu'il lui faudrait montrer patte blanche pour entrer mais il n'était pas bêta à ce point pour se pointer avec une arme.

- Mascotte de l'orchestre , donna-t-il comme nom.

Grilles du palais - 19h35

Un carrosse pimpant, noir laqué avec des ornements argentés, s'arrêta devant les grilles du palais blanc. Deux hommes en livrés sautèrent de leur marche-pied et déployèrent l'escalier. Deux menus petons se posèrent sur la première marche dans leurs souliers brillants, révélant une silhouette féminine drapée dans une robe pervenche à volants argentés. Un loup de la même couleur dissimulait le visage de la créature. Sa démarche es assurée, le dos est droit, il était impossible de lui donner un âge.

A sa suite, les laquais installèrent une rampe afin de permettre la descente d'un fauteuil. L'homme qui se tenait, avachi, était vêtu d'un uniforme d'apparat. Un loup de satin noir dissimulait à peine ses cernes. Une crinière grisâtre, entremêlée de quelques mèches noires, encadrait son visage fatigué. Aveugle ? On aurait pu le croire tellement ses yeux étaient d'un gris très pale mais ce n'était pas le cas, malgré l'immobilisme apparent de l'homme, ses pupilles étaient à l’affût du moindre mouvement.

Zéphyr ne savait plus très bien où il en était. Il naviguait depuis bien longtemps dans un brouillard qui semblait sans fin. Depuis son acte de bravoure, sa mère dirait plutôt une tentative d'assassinat ou encore s'en servirait pour dénigrer les conséquences pour ceux qui suivaient Lioffel, le capitaine se retrouvait cloué dans ce fauteuil sans la moindre amélioration. Sa situation l'agaçait. Il ne l'avait jamais accepté pourtant il devait se rendre à l'évidence jamais plus il ne serait comme avant. Mais il ne regrettait ce qu'il avait fait deux ans auparavant. Et s'il restait un espoir alors il s'y raccrocherait jusqu'à la fin de ses jours.

Pour l'heure, c'était sa mère qui aurait la part belle. Elle allait pouvoir l'exhiber tel un trophée à tout le gratin lioffélois. Elle se pencha et lui parla d'une voix avilissante comme on le ferait à un enfant.

" Nous sommes arrivés au palais royal, mon fils. J'espère que tu te comporteras bien."

Que pouvait-il répondre à cela ? Il l'ignora, lui offrant une fois de plus un silence en guise de réponse. A quoi bon lui répondre ? Et puis ce n'est pas comme si elle n'avait pas l'habitude de ses longs monologues où il n'avait pas l'occasion d'en placer une.  Zéphyr ne voulait plus être un patin qu'on trimbale. Sa mère l'étouffait. Mais que pouvait-il faire sans pouvoir quitter son fauteuil ? Un soupire, et il se rengonça dans son fauteuil. Quel le trimbale si ça lui chante...

" Veuillez noter sur le registre la baronne de Kergamont et son fils, le capitaine Zéphyr de Kergamont. Et lui, c'est Paul, il le poussera. "

Dit la mère d'un ton haut-perché au quidam qui gardait l'entrée. Garde noir ou pas, c'était juste un troufion qui n'était bon qu'à noter sur son registre. Dans une petite bourse assortie à sa tenue, elle trimbalait les médicaments pour son fiston. De quoi le "requinquait" si besoin. Y'avait peut-être même une lime à ongle et deux trois poudres de beauté. Accroché, au dossier du fauteuil, un sac contenait un rechange.