| | Le capitaine disparu | Un an et sept mois plus tôt
Son sang n'avait fait qu'un tour lorsqu'elle avait appris que son fils avait attrapé la frigidite en convalescence. Tous des incapables! Son bébé, - correction son jouet, allait ressembler à ses crétins de birlais à présent. Hors de question qu'elle le laisse entre les mains de ses imbéciles. Elle était aller le chercher traitant au passage le toubib de tous les noms possibles et imaginables.
La baronne entra dans une colère noire, terrible, une fois de plus, le personnel en avait l'habitude de ces sautes d'humeurs, mais depuis un bon mois, depuis qu'elle avait fait ramené son fils blessé au domaine, c'était devenu pire. Il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas. Un napperon de travers, un grain de poussière, une viande pas assez cuite... Hélas s'occuper de son fils se révélait bien plus compliqué qu'elle n'avait imaginé. C'est que le gredin pesait son poids, même si la maladie et les blessures l'avaient amaigri. Aucun domestique à ses yeux ne saurait y faire. Non, il lui fallait quelqu'un de neuf, qui ne la connaissait pas, pour qu'elle puisse le formater à son aise, tout en veillant à "maintenir" son bébé en vie. Alors elle fit savoir qu'elle recrutait du personnel.
Un jour s'écoula. Rien. Une semaine s'écoula. Rien de plus. Tous les jours, elle harcelait sa bonne lui demandant sans cesse si quelqu'un s'était présenté. Rien. Et puis un matin, c'était le milieu de la deuxième semaine, bonbonne entra un grand sourire aux lèvres. Oh, elle aurait du prendre des pincettes surement en faisant l'annonce à sa maîtresse, mais bon, elle était tellement contente que quelqu'un se soit enfin présenté, faut dire aussi qu'elle en avait toujours un peu pincé pour le beau Zéphyr.
" Il y a trois personnes pour l'annonce Madame , je les ai faites patienter dans le petit salon." fit-elle toute guillerette
La baronne arqua un sourcil. Trois d'un coup ? Alors que ça faisait presque quinze jours sans aucune candidature. Elle se pressa pour aller voir de ses propres yeux. Elle avait bien fait. Sotte de bonniche. Oh oui, il y avait bien trois êtres humains dans le salon mais l'un deux avait encore de la morve au nez, autant dire qu'elle n'en avait rien à faire d'un mioche de plus. Sur les deux autres l'un était si petit et fluet qu'elle ne le voyait pas du tout apte pour le poste. Quand à l'autre, c'était une véritable armoire à glace, sans nulle doute apte à soulever son cher fils, vêtu d'un complet intégral, mais voilà c'était déjà un homme mure et donc pas vraiment ce qu'elle recherchait. Elle s'adressa donc au maigrichon qui semblait bien le plus jeune des deux et donc plus à même à être formater selon son souhait.
" Bien. Quelles sont vos références ? Savez-vous changer une literie? Procéder à la toilette corporelle d'une personne dépendante? "
Bref, elle l'inonda de question sur ses capacités.
Dernière édition par Zéphyr de Kergamont le Sam 1 Aoû - 11:00, édité 1 fois |
| | Domestique de Zéphyr | Je suis arrivé chez ma future employeuse avec de l’avance. Toute l’avance nécessaire pour pouvoir m’entretenir avec un laquais de la maisonnée, afin de recueillir des données sur la personne à qui je vais avoir affaire, avoir une idée du plan de la bâtisse, des profils recherchés, et surtout, pour jauger mes concurrents. Rien de bien sérieux. Tant mieux. Et voici madame qui arrive. Elle est grosse et laide, comme à peu près toutes les nobles dames que j’ai connu passées un certain âge, quand les affres de leurs lignées consanguines commencent à ne plus être masqués par leur jeunesse. Et encore que, certaines enfants et adolescentes, parfois, on dirait qu’elles ont été bercées trop près du mur. Ou du tonneau de saindoux. Et elle me parle comme si j’étais exactement ce pourquoi je postule à être : un essuie-fesses qui parle. Enfin, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne déteste pas particulièrement mon métier. Ou les nobles. Mais ce n’est pas pour autant que j’ai le moindre respect pour eux. Il doit bien en avoir deux ou trois qui pourraient s’attirer ma sympathie, tout au plus, mais ils ne sauvent pas leurs semblables. En revanche, il serait fort malséant que je me comporte autrement qu’avec servilité et politesse. Allons-y donc. « Bonjour, madame la baronne. » Petite courbette. « Je m’appelle Tulio Verez. » Et je ne fais un effort considérable pour écorcher mon nom en le prononçant avec l’accent lioffelois. Elle l’aura sûrement oublié d’ici dix secondes, mais qu’elle pense que je puisse « parler correctement » vaut mieux que la fierté culturelle. « Je suis Monosianais d’origine, aussi je crains que mes références ne vous disent rien, mais que madame soit rassurée, je suis tout à fait au fait des mœurs et us de votre pays. » Comme peut en témoigner mon suivi impeccable de l’étiquette locale, ainsi que de ses coutumes vestimentaires. Au demeurant assez… quelconques, par rapport à celles que je connais. On dit que l’herbe est toujours plus verte dans le champ d’à côté. Je peux vous assurer que c’est une expression idiote ! « Si toutefois monsieur de Vire, monsieur l’échevin de Peñafel de la ville de Drillan et madame la baronne de Vallesteros, vous disent quelque chose. Je pourrais vous transmettre des lettres de recommandation des deux derniers – traduites par un notaire, cela va de soi. Je les ai avec moi. » Première chose que j’ai fait en arrivant dans Lioffel : régulariser la paperasse. « Quant à ce que vous demandez, j’ai la prétention de dire que j’en suis capable, madame. » On m’avait déjà prévenu au sujet de l’handicapé de la famille en chaise roulante. J’ai déjà pris mes dispositions, en m’entraînant auprès de l’hospice le plus proche. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour manger, je vous jure. Cette madone est tellement imbuvable qu’aucun valet cherchant emploi dans la région ne voulait travailler pour elle.
Dernière édition par Tulio Verez le Sam 8 Aoû - 11:06, édité 1 fois |
| | Le capitaine disparu | " Ne vous avisez pas de me mentir jeune homme. Je finirais par le savoir tôt ou tard et il vous en cuira. "
Foi de baronne. Elle lui ferait passer l'envie de recommencer. Et pour ça, ce n'était pas les idées qui manquaient. En revanche, vérifier ses dires allait être une autre paire de manche. Elle n'allait pas s'amuser à parcourir toute la contrée voisine. Drillan par contre c'était pas très loin. Nouvelle inspection des pieds à la tête, un peu maigrichon nota-t-elle, mais il avait l'air de savoir ce qu'il voulait. Et puis, il semblait avoir un tantinet de jugeote. La révérence lui avait plu. Pas parfaite, mais c'était déjà beaucoup plus que certains autres rustres qu'elle avait pu recevoir pour d'autres taches. Avec un peu d'enseignement, elle arriverait sans doute à en faire un gentil toutou.
" Vous n'avez aucune attache ? De la famille ? S'occuper de mon fils requerra tout votre temps. Vous n'aurez d'autre loisir que de veiller à son bien-être. Est-ce clair ?"
Autant mettre les choses bien à plat dès le départ, la baronne n'avait pas besoin d'un bras cassé supplémentaire ou d'un coureur de jupon pour surveiller son rejeton.
" Venez. Suivez-moi. Si vous avez des questions, posez-les moi en chemin."
Elle se dirigea vers l'escalier d'un bon pas. Malgré les années qui passaient, elle avait toujours la santé et une forme éclatante. Elle emprunta ensuite un long couloir qui deservait l'autre aile de la demeure. Très peu de décoration comparé aux pièces qu'ils venaient de laisser. Il était difficile à croire que son fils reposait derrière une de ces portes.
" Voilà la situation : mon fils est un grand blessé de guerre. Il faut le changer, lui faire la toilette, veiller à ce qu'il prenne son traitement, le faire manger et répondre à ses besoins. Pour le traitement, ne vous inquiétez pas, je vous le ferais parvenir tous les jours. "
C'était le test final. Elle se devait de le mettre face à la lourde tache qui serait la sienne. Elle ouvrit la porte.
La pièce était plongée dans une quasi-obscurité, quelques raies de lumière filtraient là où la masse des tentures épaisses ne faisaient pas jointure devant les grandes fenêtres à petits carreaux. L'air était saturé d'un mélange d'odeurs diverses et variées. Celle de la fumée froide était omniprésente et provenait de divers brûleurs d’encens qui étaient censé masquer les odeurs corporelles. Une forme était allongée dans un lit aux draps qui n'avaient pas été changé depuis quelques temps. Un vieillard aux cheveux décolorés et à la barbe sales reposait là et sentait tout sauf la rose. L'homme semblait flotté dans une robe de chambre à la couleur impossible à décrire. Si les draps ne s'étaient pas soulevés à un rythme régulier, on aurait pu croire une chambre mortuaire.
" Je vous laisse ici. Je vous attend à 14h au jardin pour la ballade. "
S'il ne faisait pas l'affaire, elle aurait au moins gagné une chambre propre pour un jour. |
| | Domestique de Zéphyr | De la famille, il se trouve que j’en ai. Miguel doit d’ailleurs être en train de coucher ma fille pour sa sieste. Il s’en sortira tout seul. Et puis, si j’arrive à lui trouver un travail, nous devrions pouvoir placer ma petite Catayuna auprès d’une nourrice. C’est quelque chose que j’ai vu être fait parmi tous les employés des grandes maisons nobles : nombreux étant les domestiques ayant des familles, il arrive que leurs enfants, parfois accompagnés de ceux des nobles eux-même, soient gardés et nourris ensemble. « Tout à fait clair, madame. » Et sur ce, je l’accompagne en silence, à travers une aile de la bâtisse que je qualifierais de… glauque, disons. Et c’est encore pire dans la pièce où elle m’emmène. Par Innel, qu’est-ce que ça peut puer ici. Je ne supporte pas cette odeur d’encens, elle agresse mes sens. À petite dose passe encore, mais là. « Entendu, madame. » Il va y avoir du boulot à faire. Je regarde rapidement les environs, puis le grand blessé de guerre. On dirait qu’il a à la fois la trentaine et le double de cet âge… Tout en étant visiblement aussi autonome que ma fille. Réfléchissons. Que faire. Déjà, aérer. J’éteins les brûleurs et ouvre en grand les fenêtres. Heureusement que ces nobles peuvent se payer du verre, elles sont bien grandes ! Et puis, un peu de Soleil, ça ne fait pas de mal. « Bonjour monsieur. » Je tâche de lui parler doucement. Il n’a pas l’air gaillard. C’est l’inaction et la déprime, ça. Tssk, il est beau, le héros de guerre. Dès que possible, il faudra que je refasse intégralement la décoration de cette pièce, que ce soit un tant soit peu chaleureux et réconfortant. C’est gai comme un cimetière, ici. La santé mentale du grand blessé est aussi importante que sa santé physique ; les deux étant liées. « Je m’appelle Tulio Verez. Je suis à compter de ce jour à votre service. » Je m’approche de lui en essayant très fort de ne pas être repoussé par ses odeurs corporelles et son aspect. Il aurait certes besoin d’être changé et lavé, mais aussi d’être rendu présentable en société, pas seulement relativement propre. Tailler sa barbe, lui couper les cheveux, faire ses ongles, le parfumer, lui mettre de beaux habits, ce genre de choses. « Je vais m’occuper de vous. Tournez-vous, s’il vous plaît. » Mais avant tout, le débarrasser de cet espèce de tenue de nuit informe. Je l’aide à se dévêtir. Et qu’il n’essaie pas de faire le prude devant moi, je vais le foutre à poil dans un baquet d’eau chaude. J’appelle d’ailleurs un laquais dans le couloir et lui ordonne de m’apporter un nécessaire à toilette complet ; des ongles de pied aux poils d’oreille. |
| | Le capitaine disparu | Le capitaine n'était plus que l'ombre de lui-même. Le Doc' l'avait bien prévenu que sa guérison pourrait prendre du temps. Au début, en courageux guerrier qu'il était, il y avait cru, dans ce genre de situation, on se raccroche au moindre espoir. Puis la maladie birlaise l'avait frappé. Son corps avait lutté des jours durant, frôlant la mort, mais la vie s'accrochait à cette enveloppe fracassée. Lorsque Zéphyr avait repris conscience, il ne se trouvait plus à l’hôpital, mais dans une chambre du domaine familial. La notion du temps qui passe s'était estompée. On lui fourrait dans la bouche quelques cuillères de soupe pas très nourrissante trois fois par jour parfois seulement deux, puis on le laissait seul. *** Bruit de porte qui s'ouvre. Déjà l'heure ? Zéphyr fit le mort sous les draps espérant qu'ainsi qu' elle lui fiche la paix et qu'elle reparte. Mais non. Il y avait quelqu'un d'autre avec elle. Même s'il ne bronchait pas, il entendait tout. Sa chère mère avait tendance à oublier que s'il ne pouvait quitter sa couche par ses propres moyens, il n'était pas sourd pour autant. Elle l'exposait une fois encore... Sa situation l'agaçait mais rien n'y faisait. Il était visiblement condamné à rester dans cet état larvaire. Bruit de porte qui se referme. De rideaux qu'on tire. Une voix qu'il ne connaissait pas s'exprima. Comme un gamin boudeur, il fit semblant de ne pas le voir, il n'avait envie de voir personne et il ramena les draps sur sa tête. Qu'est-ce qui puait de la sorte ? Débarrassée de l'odeur suffocante de l’encens qui l'empêchait de respirer correctement, et dans une pièce où l'air circulait à nouveau, ses narines furent assaillies d'une odeur nauséabonde. On aurait dit celle d'un fruit en décomposition. Zéphyr fut pris d'un haut-le-coeur lorsqu'il se rendit compte que c'était lui , en partie, qui sentait ainsi. Evidemment quand on a rien dans l'estomac rien ne sort. "Refermez les rideaux"....rouspéta-t-il d'une voix faiblarde et croassante. Tant de luminosité d'un coup lui faisait mal aux yeux qui avaient également perdu leur couleur pour devenir gris. " Tulio ! " Pesta-t-il alors que le domestique retirait les couvertures avec l'intention de le changer. Ses prunelles grises croisèrent celle du jeune homme. Envie de meurtre. Appel muet à l'aide. " Pas un mot..." Siffla-t-il. La situation était assez humiliante comme ça. Il n'avait pas envie d'entendre le moindre commentaire. Au prix d'un effort qui lui laissa le souffle court, il parvient avec son aide à s'assoir. Il passa ensuite de longues minutes à chercher son souffle. *** Germaine, la vieille cuisinière, déboula alors dans la chambre sur les talons du valet qui portait le baquet d'eau. La baronne lui avait interdit la moindre visite, mais cette fois, elle avait bravé l'interdit. Il fallait qu'elle voit le nouveau. S'il devait s'occuper de son jeune maître, elle devait le voir et savoir s'il comptait effectivement prendre soin de lui ou simplement accélérer sa mort. On ne lui faisait pas à elle. Cela faisait bien longtemps qu'elle était ici et qu'elle fermait sa bouche parce qu'elle n'avait nulle part où aller. Elle avait vu grandir Zéphyr, elle lui avait donné tout l'amour que ne pouvait lui donner sa mère, panser son dos, consoler ses chagrins. Sans dire un mot, elle déposa avec autorité une morceau de pain et du fromage enveloppé dans un torchon sur la cheminée puis elle considéra Tulio. Frêle et jeune. La baronne pourrait en faire une bouchée si elle le voulait. Elle devait le prévenir.
" Monsieur Zéphyr a besoin de quelqu'un de confiance. Ne vous laissez pas embobiner par sa mère. Je retourne en cuisine avant de me faire prendre. " *** Dépouillé de sa tunique crasseuse, Zéphyr avait depuis longtemps cessé d'être prude. L'armée lui avait appris à prendre sur lui. C'est un corps décharné qu'il offrait à son nouveau domestique. Les batailles laissaient des traces indélébiles. Sa peau était parsemée de cicatrices presque toutes dues à des lames. Presque. Car même un œil non expert pouvait reconnaître sans problème les fins sillons qui zébraient son dos. Le valet blêmit. Proche de sa colonne vertébrale se trouvait une zone de tissu cicatriciel bien plus récent, la chair était encore très rose, c'était à cet endroit qu'il avait reçu le trait de flèche à ours. La sensation de l'eau chaude sur sa peau était exquise mais aussi dangereuse. La chaleur l'endormait. Zéphyr avait fait un gros effort pour bouger. Il glissa doucement dans le baquet. Heureusement trop petit pour qu'il tienne entièrement allongé mais comme ses jambes n'avaient pas de force, il était en train lentement mais surement de couler. Sursaut de vie. Sa main s'accrocha à la tunique de Tulio. |
| | Domestique de Zéphyr | Refermer les rideaux ? Certainement pas. De toutes façons, je vais devoir le promener dans la cour, il faut bien que ses yeux s’habituent. J’ignore sa demande. Parfois, il faut quelque peu sélectionner les ordres auxquels on obéit, pour le bien de ses maîtres – surtout quand ils sont dans un état aussi déplorable. Mais hé, au moins il a retenu mon nom. Je ne peux pas en dire autant de tous mes employeurs. Je lui aurais bien adressé un sourire s’il n’avait pas tenté de me foudroyer sur place de son regard de chien battu maladif. Oh, vous savez quoi, il est tellement pitoyable que je vais lui en envoyer un quand-même. Je m’approche doucement pour lui glisser à l’oreille, d’un ton complice : « Pas un seul. Vous savez, monsieur, un homme n’est rien de plus qu’un homme. Et comme tout le monde, vous répandez défécations et puanteur, et c’est moi qui nettoie. » Ça je le pense vraiment. Qui peut encore être impressionné par les grands de ce monde, quand on a vu le contenu de leurs pots de chambre ? « Mais l’inverse est vrai aussi. Quoi qu’il arrive, un homme reste un homme. Avec ce que cela suppose de dignité et d’intelligence. Et le fait que que vous puiez à l’heure actuelle ne changera rien à vos qualités, à vos exploits passés, ou à la possibilité que vous en refassiez dans le futur. C’est humain, voilà tout. » Je l’aide à s’asseoir, m’éloigne quelque peu et le regarde, toujours avec cet air que je tâche de rendre aussi amical que possible. « Qui sait, tout peux arriver. » Mais ce qui va arriver, là maintenant, c’est un bain. Ça urge. Ah, tiens, justement. La servante dépose de la nourriture, bien. Zéphyr est un peu faible, il en aura besoin. J’inspecte autant que faire se peut le visage de cette servante. Elle m’a l’air d’être quelqu’un d’important dans cette maisonnée. Pas par son rôle, mais par le fait qu’elle semble au fait de ce qui s’y passe ; qu’elle ne se laisse pas embobiner par la baronne. Il faudra que nous ayons une longue conversation, à l’occasion. « Merci bien. Je vous recontacterai. » Sur ce, retour au grand blessé… qui effectivement a pris quelques coups. C’est assez impressionnant, je me dois de le dire. Avec infinie douceur et précautions, je l’escorte jusqu’à la bassine et l’y laisse s’y couler. Ah, mais il ne faudrait pas qu’il coule ! Embêtant, il est trop faible pour ne serait-ce que se tenir assis. Pff, un tel grand capitaine, il se noierait dans un verre d’eau. Je vais avoir du boulot. Même Catayuna est plus autonome, et elle n’a pas un an… Je retrousse mes manches et tâche donc de maintenir au moins sa tête hors de l’eau. Il est maigrelet, mais il est lourd ! Heureusement que le laquais ayant apporté la bassine est resté. « Jeune homme. Vous voyez comment je soutiens monsieur ? – Oui… – Tâchez de faire de même, je vais le brosser. Vous n’avez pas intérêt à le laisser glisser. » Je sais me montrer autoritaire, même si je suis plutôt fluet. Il s’exécute sans une grande dextérité, mais avec suffisamment de force pour que Zéphyr ne boive pas la tasse. De mon côté, je tâche de nettoyer chaque partie de son corps. Heureusement que j’ai pris une tunique de rechange, la mienne est déjà trempée. |
| | Le capitaine disparu | Zéphyr avait failli se noyer dans la baignoire qui était censée lui permettre de retrouver un semblant de dignité. Une longue quinte de toux avait suivi pour dégager l'eau avalée... Soutenu par le valet et son nouveau domestique, l'homme ne pouvait pas non plus dire qu'il n'appréciait pas ce petit confort qu'on lui avait plus ou moins refusé depuis longtemps. Au fur et à mesure, sa peau devenait blanche et rouge sous l'effet combiné de la chaleur et de la main énergique de Tulio pendant que l'eau prenait une couleur grisâtre.
" Plus jamais de bain...."
Du moins tant qu'il n'avait pas repris assez de force ou trouver un moyen de le faire sans avoir besoin que Tulio n'appelle du renfort pour l'aider. Même si son corps était dans un sale état, au propre comme au figuré, son esprit était toujours là et se raccrochait à la moindre lueur. Espérer. C'était la seule chose qu'il lui restait vraiment. Peut-être jugeait-il Tulio un peu trop à la hâte mais personne d'autre n'avait osé franchir le seuil de sa chambre.
" Il y a une pièce à côté où vous pouvez loger. "
Connaissant sa chère mère, Zéphyr se doutait bien qu'elle avait envoyé le pauvre Tulio au charbon plutôt que de lui parler de ses gages et de ses conditions de logement. Il était évident que le jeune homme ne pouvait occuper une des chambres dans le baraquement des domestiques vu sa fonction particulière.
" C'est un peu plus petit qu'ici mais la vue est peut-être meilleur."
C'était son ancienne salle d'étude. Là où il avait passé des heures enfermés tant qu'il n'avait pas appris ses leçons. Le noble se souvenait de cette fenêtre qui donnait sur l'extérieur et les champs à perte de vue. Il ignorait cependant que sa mère avait fait entreposer tous les objets qu'elle jugeait inutile ou trop dangereux pour lui.
Sur son épaule, pendouillait une longue mèche de cheveux, blanche, guère plus épaisse qu'un fil. Zéphyr l'attrapa entre le pouce et l'index et l'examina d'un air circonspect. Indigne d'un militaire d'avoir les cheveux aussi longs. Tulio devrait remédier à ça. Il espérait qu'il sache le faire. Mais là soudain ce fut autre chose qui se manifesta, c'était soudain et inattendu, il ne put se retenir et soulagea sa vessie.
" J'ai fait pipi dans l'eau " commenta-t-il comme un gosse. Le sortir de là ne serait pas une mince affaire. |
| | Domestique de Zéphyr | « Plus jamais de bain » ? Tu rêves éveillé ! Mais il est vrai que l’installation est à revoir. Il lui faudrait une baignoire taillée sur mesure, plus longue pour qu’il puisse étaler ses jambes, moins profonde pour qu’¨l ne risque pas de s’y noyer, et avec un dossier pour y reposer la tête et la maintenir hors de l’eau. Le mieux serait même d’avoir un petit bassin sous ce dossier, pour que j’aie assez de place pour lui couper les cheveux et les lui laver. Ce domaine doit avoir un charpentier ou un tonnelier, je lui passerai commande. Une pièce à côté où loger… Mm, c’est embêtant. Je ne saurais être séparé de ma famille, or ma petite Catayuna n’a pas encore tout à fait fini de faire ses nuits. Il faudra que je pense à m’arranger à ce sujet. Dans un premier temps du moins, cela voudra dire retourner chez moi et me lever tôt pour assister au levé de Zéphyr. Ceci dit, vu que c’est pour le moment une larve impotente, ce ne risque pas d’être si tôt que ça… Oh. « Ah, monsieur. » Pas le choix, il faut tout recommencer. Note à moi-même : le faire se soulager avant, la prochaine fois. Je regarde la position du Soleil dans le ciel. On devrait avoir le temps de faire cela. Je m’adresse au petit laquais qui le tient : « Aidez-moi à le remettre sur sa chaise et allez me chercher une autre bassine. Et envoyez quelqu’un m’apporter de quoi couper ses cheveux au plus vite. » Je me tourne vers Zéphyr avec l’air le plus neutre possible. C’est difficile de n’afficher ni agacement, ni condescendance devant cet infirme incontinent. « Comment voudriez-vous que je les coupe ? Je devrais pouvoir vous faire un carré court militaire, mais j’ai bien peur que ce sera plus à la mode de mon pays. » |
| | Le capitaine disparu | Son domestique et le valet le soulevèrent. Même si la lutte contre la maladie et pour sa guérison avait grandement contribué à son amaigrissement, sa grande taille ne facilitait pas les choses et son poids restait tout de même conséquent pour une personne seule. Zéphyr regarda l'eau s'écouler, pensif et dépité. Toutes ses années passées à se forger un corps résistant et endurant, à supporter les caprices de sa mère en matière de nourriture, tout ça pour arriver à quoi ? Un corps de larve incapable de faire la moindre chose sans être épuisé pendant de longues minutes. D'un autre côté, c'était aussi grâce à ce corps vigoureux qu'il avait pu survivre à sa blessure et à la frigidite. C'était à lui à présent de faire le nécessaire pour retrouver un peu d'autonomie, voir de retrouver sa liberté totale. En aurait-il la force ? Lui laisserait-on le temps de se remettre ? Dans un coin de son esprit flotter vaguement l'idée de retrouver la famille qu'il avait choisi à condition que sa mère ne s'en mêle pas.
" Faites au mieux Tulio. Ça repoussera de tout façon. Pour la barbe je l'ai toujours portée alors j'aimerai la garder mais courte."
Zéphyr ne connaissait pas les compétences en la matière de Tulio mais il avait eu un aperçu de la longueur de ses cheveux dans le baquet et c'était inacceptable. Un désastre même. Il ne voulait pas ressemblait à un vieux croûton. Question de fierté. Peut-être qu'en les coupant, ils retrouveraient leur couleur.
" Vous êtes le premier à aller aussi loin. "
Des bribes de souvenirs.Il y avait bien eu quelques tentatives d'embauches mais aucun n'avaient osé franchir la seuil de sa chambre. Zéphyr espérait sincèrement que sa mère arrête son choix sur le jeune homme. Il en avait plus qu'assez d'être seul en permanence. Et puis, du peu qu'il en avait vu, Tulio semblait être tout à fait capable de le gérer. Il avait attendu le départ du valet pour le lui dire, car ici, les murs avaient des oreilles et Zéphyr savait que la plupart des domestiques n'hésitaient pas à cafarder.
" Je suppose que ma mère vous a fixé un ultimatum ? Elle veut me voir ... Ouvrez la porte-fenêtre qui donne sur la terasse. On pourra rejoindre le jardin par la pente. "
Raté très chère mère. |
| | Domestique de Zéphyr | Pour dire la vérité, je n’ai jamais coiffé de militaire. Ils doivent pouvoir le faire eux-même, s’en moquent ou ont leurs propres serviteurs, et je n’ai jamais été celui d’un soldat. Déjà que le métier de domestique est socialement peu respectable, je ne vais pas en plus m’abaisser à être, pire qu’un troupier, le servant d’un troupier. Toujours à battre routes boueuses et lieux d’affectation, à avoir une femme dans chaque ville de garnison et à courir les jupons comme on bat la campagne. Devoir torcher ces gens là. Peuh ! Les officiers comme Zéphyr sont un peu moins de ruffians en habits assortis, mais ils ont en revanche la tare d’être noble. Je me demande si sa remarque quant au fait qu’aucun n’avaient réussi à supporter sa mère et son état – le second étant un sous-produit direct de la première, ce me semble de plus en plus clair – était un compliment. Il va falloir que je me renseigne avec précision sur les mécaniques internes à cette famille. Supposons la situation suivante : je suis employé par madame pour s’occuper de son fils, or celle-ci semble se complaire pour quelque objectif qui m’échappe – sa propre stupidité et son incurie naturelle étant une réponse aussi valable que quelque potentiel machiavélisme retors – à le maintenir dans un état déplorable. Je suis donc engagé par la baronne pour mettre en échec sa volonté, ou pour réparer les dégâts qu’elle cause. Dans les deux cas, je me heurte à un problème majeur. Dans le premier (si madame est intelligente et pernicieuse), je serais un pion dans quelque machination de famille dont cette noblaille – ayant perdu comme principale occupation celle de la quasi-totalité du reste de la population ; s’assurer que son assiette est remplie – occupe ses journées en s’entre-dévorant, tels des rats enragés pris au piège dans un tonneau fermé. Dans le second (si madame est stupide), il faudra bien un jour qu’elle se rende compte qu’elle est le problème qu’elle me paie à pallier. Or, on le sait tous ; les nobles n’ont jamais tort. S’ils ont tort, se référer à la phrase précédente. Euah. Au moins le Zéphyr en question m’est assez sympathique. « Merci monsieur. » Je me hasarde même à une pointe de familiarité : « Je pense que nous arriverons à faire de belles choses, tous les deux. » Comme par exemple me rapporter des sous pour nourrir ma fille. Enfin bref. Ses cheveux coupés – de mémoire, ça ressemblait à peu près à cela, un œil expert ferait la différence avec le véritable carré légèrement décalé monosianais, mais qu’importe – et son corps lavé, on peut passer à la dernière étape avant la sortie. « Que souhaitez-vous porter à l’occasion de votre promenade, monsieur ? » |
| | Le capitaine disparu | Ce qu'il souhaitait porter ? Oula...Un ça faisait bien longtemps qu'il n'avait pas porté autre chose que cette chemise de nuit crasseuse. Et de deux, ça devait faire encore plus longtemps qu'on ne lui avait pas demandé ce qui lui souhaitait. A la place, bien souvent, pour ne pas dire dans la plupart des cas, sa mère décidait à sa place. Comme elle l'avait toujours fait d'ailleurs. Après, il ne fallait pas s'étonner qu'il ne passait guère de temps chez lui et qu'il préférait rester au front ou à entrainer les nouvelles recrues. Enfin ça c'était avant...Zéphyr laissa échapper un soupire. La question était tout à fait légitime et sa garde-robe avait été autrefois plus que fourni, au point que s'il le voulait il aurait pu se permettre de changer de tenue toutes les heures.
" Je ne sais pas ... "
Réponse à moitié boudeuse d'un homme qui ne savait plus très bien où il en était. D'ordinaire, la question ne se serait pas vraiment posée et il aurait enfilé son uniforme. Mais ça c'était avant. A présent, il ignorait si sa très chère môman avait touché ou non à ses affaires, cela faisait tellement longtemps qu'il ne s'était pas habillé. Tiens d'ailleurs, il venait de lui venir à l'esprit que ces vêtements devaient être bien trop large pour sa carrure actuelle...Nouveau soupire.
" Quelque chose de simple à enfiler "
N'importe quoi en vérité, tant que ce n'était pas une immonde chemise de nuit et que ça ne lui donnait pas l'air d'un papy emmailloté. Après, Zéphyr n'était pas très difficile. La qualité du tissu de ses habits était suffisamment bonne pour qu'on ne le prenne pas pour un domestique. Sauf qu'en parcourant rapidement la pièce du regard, il constata que la plupart des commodes ou autres armoires étaient absentes. Elle avait osé ! Mais l'ancien soldat avait un avantage. Il avait grandi dans cette demeure et, surtout, il connaissait suffisament sa mère. Elle avait surement tout fait ranger dans quelques débarras. Les pièces inutilisées étaient nombreuses...
" Je suis navré Tulio de vous faire subir ce jeu de piste. Il y a plusieurs pièces qui servent à stocker. Une à cet étage. Et puis tous les combles. Et surement d'autres encore. Trouvez-moi quelque chose à mettre et peut-être vous parviendrez aussi à dénicher cette fameuse chaise à roue pour me sortir d'ici. " |
| | Domestique de Zéphyr | Ah, parce qu’en plus de tout le reste, il va aussi falloir que je réorganise l’intégralité du rangement de ce château. Et repenser l’agencement des meubles de la chambre de Zéphyr. Sitôt que j’aurai une demi-journée de libre – on peut rêver – je passerai aussi en revue tous les domestiques de la maisonnée, du garde-chasse au moindre commis de cuisine. Par Innel, je parierais qu’il doit y avoir une tripotée d’incapables et de tires-au-flanc. Sauf cette servante de toute à l’heure. Quoi qu’il en soit, les choses vont changer, ici. Je ne peux pas dire à madame qu’elle tient son manoir comme un Sudiste son étal du marché – vous croyez que le mot « bazar » vient d’où ? –, mais je peux au moins faire en sorte de passer suffisamment bien derrière pour que je ne pète pas un câble à chaque fois que je devrais aller chercher une culotte pour Zéphyr. « Entendu, monsieur. » Il soulève une remarque judicieuse. S’il est incontinent et ne sait pas s’habiller seul, il ne faudrait pas des tenues trop compliquées qui rendraient impossibles de le vêtir, ou de changer ses couches, sauf à utiliser un personnel important. Il faudra que je pense à attraper quelques laquais sur le passage, histoire de ne pas me retrouver seul à devoir lui enfiler ses vêtements. La vraie question est surtout : habits civils ou militaires. Étant un blessé de guerre traumatisé, je comprendrais qu’il ne veuille pas remettre son ancien uniforme. « Que diriez-vous de ressortir votre livrée de capitaine ? » Si je la retrouve, mais je ne précise pas cela. Évidemment, que je vais la retrouver. Vous me prenez pour qui ? |
| | Le capitaine disparu | " Non, pas l'uniforme...."
La réponse fusa, rapide et nette à l'évocation de son uniforme. Zéphyr ne se sentait pas apte à porter cette tenue. Non qu'elle lui rappelle que c'était à cause de son engagement dans l'armée qu'il se trouvait dans ce triste état mais plutot pour tenter de rester en bon terme avec sa mère tant qu'il était à peu près en capacité de l'affronté.
" Ca doit être la première chose qu'elle a du s'empresser de faire disparaitre d'ici..."
Et puis de toute façon à quoi bon se vêtir d'un uniforme sachant qu'on est incapable de marcher et de manier une épée sans devoir reprendre son souffle au moindre geste. Pour Zéphyr voir s'écouler le temps seconde par seconde à ne rien faire c'était très frustrant. Sa vie ne serait plus jamais ce qu'elle avait été et pour le moment, il ne l'acceptait toujours pas. Allait-il devoir passer le restant de sa vie à la gestion d'un domaine ? Oh sa mère avait bien pris soin qu'il sache sur le bout de doigts tout ce qu'il y avait à savoir en la matière mais Zéphyr s'était jamais vu ainsi, ça n'avait jamais été une vie qui l'avait fait rêver.
" Tulio, trouvez-moi juste une tenue, pour le reste, nous verrons ça plus tard, ma mère n'aime pas qu'on la fasse attendre et elle déteste encore plus les gens en retard" |
| | Domestique de Zéphyr | Comment ? Il est inconcevable qu’un militaire n’ait pas sa tenue, ses décorations, son épée et son pistolet toujours à portée de main. Dès que possible, je ferai en sorte de récupérer son barda. Ça contribuera peut-être à lui rendre un peu de sa dignité. M’occuper d’un infirme passe encore, d’un infirme dépressif, pas si je peux à remédier. « J’y vais tout de suite monsieur. Il se peut que je vous envoie quelqu’un avec un début de tenue avant que j’arrive. Il tâchera de commencer à vous vêtir. » Le temps commence à être compté. Il va falloir être particulièrement efficace. Sitôt que je sors de la pièce, j’attrape tous les laquais qui me passent sous la main et commence à répartir ordres et missions. Untel doit aller me chercher sa chaise à roulettes, untel autre s’enquérir de la position de madame, untel autre me dénicher des sous-vêtements, et les autres doivent me guider jusqu’aux différents stockages pour y trouver des habits pas trop dépareillés. Je suis à Lioffel depuis assez longtemps pour connaître sa mode. Il ne va pas s’agir ici de parer Zéphyr des plus beaux atours, mais des moins laids. Enfin, j’ai pu faire de mon frère un individu propre et respectable, j’arriverai à tout à partir de là.
Quelques minutes plus tard, je reviens dans la chambre. Un valet ayant trouvé des sous-vêtements s’aide déjà d’un autre pour déplacer Zéphyr sur sa chaise à roulettes, après lui avoir mis les vêtements propres. J’entre avec des vêtements sous le bras et quelques serviteurs derrière moi qui ploient et soufflent sous le poids des caisses que je les ai obligé à trimballer jusqu’ici. Allez chercher des vêtements, vous habillerez quelqu’un un jour ; apportez l’ensemble de la garde-robe éparpillée un peu partout dans sa chambre, vous l’habillerez toute sa vie. « Mettez cela dans la pièce d’à côté. » Enfin, pas exactement dans sa chambre. Pour l’instant, dans la mienne. Je vais en profiter plus tard pour repriser ce qui doit l’être. Je ne doute pas qu’on ait les moyens ici de racheter du neuf pour remplacer les vêtements usés, mais ayant vécu dans des conditions modestes presque toute ma vie, jeter quoi que ce soit me rend malade. « Occupons-nous de vous vêtir, maintenant. » J’ai choisi un ensemble dans des teintes violettes et noires avec liseré or. Ni trop tapageur, ni trop humble. Avec un magnifique chapeau. La plume qui l’orne est hélas froissée, mais j’ai pu en trouver une de remplacement. Je l’habille avec de l’aide et en faisant en sorte de ne pas le brusquer. Pour rester dans les temps, cela demande d’être ferme, mais patient. Quatorze heures sonne alors que j’entame la descente de la pente. Une fois arrivés sur les graviers, je tend une chose à Zéphyr : des gants. Il serait très inconvenant qu’un monsieur se montre sans. « J’ai failli oublier. » Et maintenant, affronter la marâtre. Il me faudra bien le calme d’Innel et la force de Shögarat pour cela. |
| | Le capitaine disparu | "Faites, faites Tulio, le temps presse..."
C'était un peu expéditif mais Zéphyr connaissait suffisament bien sa mère pour savoir qu'elle ne tolèrerait pas le moindre retard. C'était à coup sûr le meilleur moyen, et sans doute le plus rapide, pour ne pas embaucher le jeune monosianais. Sa lucidité commençait également à lui faire défaut. D'ordinaire, il ne restait pas éveillé aussi longtemps, et puis il avait également pris un bain chaud qui l'avait détendu.
Bientôt ce fut une véritable noria de serviteurs qui afflua dans la chambre, portant chacun quelques objets lui ayant appartenus. Zéphyr se demandait bien par quel miracle Tulio avait pu convaincre les serviteurs afin qu'ils transportent les caisses dans sa chambre car aucun d'eux n'osait le faire avant. Bientot une partie de sa garde-robe fut retrouvée, ne restait plus qu'à l'ordonner et surtout à ramener de quoi la ranger convenablement.
Un des domestiques entreprit de commencer à le vêtir. Zéphyr grogna un peu devant son manque flagrant de délicatesse mais il ne pouvait pas se permettre de se présenter en vêtements de dessous! Tulio ne tarda pas à revenir et termina l'habillage. Du violet...ce n'était pas une de ces teintes préférées mais au moins il évitait le rose-doré ou le bleu pastel...Le transvaser de chaise ne fut pas une mince affaire, heureusement que les valets étaient restés. Le noble était enfin paré à affronter sa mère. Une réelle première conversation depuis ... une éternité.
***
Madame de Kergamont n'avait pas attendu. Son petit monde était à ses ordres. Oui oui. Ne croyait pas qu'elle ignore ce qu'il se passait en ce moment dans la chambre de son cher fils. Elle avait ses oreilles au sein de la maison. Elle savait y faire avec les désirs de meilleurs salaires de certains de ses serviteurs, elle savait très bien sur quelles cordes sensibles jouées pour les faire obéïr et lui rapporter les moindres fait et gestes de cet étranger qui était venu pour le poste. D'ailleurs le valet qui avait assisté au bain lui avait tout raconté dans les moindres détails. Et pour bien mettre ce monosianais mal à l'aise elle avait demandé à ce valet là de l'accompagner dans le jardin. Elle faisait d'ailleurs les cents pas sur le gravier. Cela devait faire la centième fois au moins qu'elle consultait sa montre, histoire de voir si les délais seraient respectés. Les aiguilles s'alignèrent. L'heure était venu. Plus que 6O petites secondes, et elle pourrait le remercier.
Crissement dans le gravier. Bruits de pas.
Elle se retourna de marbre. Aucun sourire. Aucune marque d'affection quelconque de voir enfin son fils dans un pseudo-meilleur état. Les mains jointes, elle combla la distance qui les séparait.
- Bien. A ce que je vois vous vous en êtes dépatouillés de mon ver de fils. Ne croyais pas que c'est gagné pour autant ! Ce fut juste. 10 petites secondes et j'aurais demandé à Gontrand de vous conduire hors d'ici, loin d'ici même.
Aucune pincette à prendre avec ce genre d'individu. Les monosianais pullulaient à force de copuler à tout va. Dire qu'elle avait été obligé de le faire pour assurer la lignée...Rien que d'y penser elle en avait un mauvais gout dans la bouche.
***
" Bonjour mère "
A quoi d'autre pouvait-il s'attendre qu'à un accueil glacial ? Elle n'avait jamais su lui témoigner une quelconque affection. Il n'était que l'héritier, le futur maître du domaine, enfin ça c'était encore à voir vu son état. Tel qu'il la connaissait, elle était capable du pire. Pour l'instant, Zéphyr essayait de trouver un peu de réconfort dans le peu de chaleur de l'air ambiant. Ce n'était pas tous les jours que son visage pouvait le sentir. La lumière lui faisait mal aux yeux mais avec le temps cela finirait par s'estomper. |
| | Domestique de Zéphyr | Insupportable vieille carne. Oh oh. Et que vois-je. Qu’aperçois-je. Que reconnais-je. Le laquais de toute à l’heure. À ses côtés. Il va falloir que je me montre extrêmement prudent. Je commence à deviner qu’ici, les murs ont des oreilles, les serrures des yeux et que les domestiques sont pour la plupart des oisillons aimant à pépier aux oreilles de la maîtresse de maison. Tssk. Qu’est-ce qu’elle croit. Que sa maisonnée est le premier nid de vipères dans lequel je me plonge ? Je ne donne pas un mois à ce minable qui se tient aux côtés de la baronne avant qu’il ne me dévoile à l’insu de son plein gré d’amples informations et qu’il devienne un agent triple. Ne pense pas une seule seconde que je ne sais pas faire un chantage bien pire que celui qu’elle doit exercer sur toi, jeune homme. Mais à part un coup d’œil discret, je ne lui adresse ni une remarque, ni un regard. Mon attention est seule concentrée sur celle qui se donne le rôle de protagoniste. Au détriment de son propre fils… En tant que parent, on peut se douter que ce genre de comportement me dégoûte. Par Innel, ces Lioffelois. Enfin, passons. « Je n’arrive jamais en retard, madame. Ni en avance d’ailleurs. J’arrive toujours à l’heure prévue. » Enfin, je ne laisse pas tout filer non plus. Qu’elle prononce des paroles sacrilèges pour ma religion passe encore, qu’elle mette en doute mes capacités, certainement pas. Voyant que monsieur plisse les yeux. Je sors une ombrelle de sous la chaise. En passant, je glisse un chuchotis à Zéphyr : « Livrez cette bataille avec courage, monsieur. » J’assure littéralement ses arrières, de mon côté. |
| | Le capitaine disparu | Son futur domestique ne se laissait pas intimidé par sa chère mère, c'était une bonne chose. Il fallait bien qu'au moins l'un d'eux soit en mesure de lui tenir tête. Zéphyr se redressa un peu dans son siège en entendant les propos de Tulio. Jouter avec sa mère dans un tel état s'annonçait épique mais l'homme n'avait pas encore renoncé, son esprit fonctionnait encore, même si le reste de son corps était en l'état actuel devenu un boulet. Un poids dont on ne peut hélas pas se séparer.
" Mère, arrêtez de tourmenter ce jeune monsieur Verez ! Vous m'avez fait convoquer alors me voici. Que puis-je pour vous ?"
La première partie de sa tirade avait été soufflé du bout des lèvres, la suite fut dit d'une voix plus nette, même si elle était un peu éraillée. Zéphyr dut respirer longuement ensuite. Tulio devait être embauché, coûte que coûte, il avait besoin qu'on le sorte de son état larvaire. Il savait que cela n'allait pas être sans heurts ou autres colères. Mais s'il voulait redevenir celui qu'il avait été, il devait en passer par là, et ce n'était pas avec les bons soins de sa mère qu'il y parviendrait.
Zéphyr n'avait pas eu le loisir d'avoir une vrai conversation avec sa mère depuis son accident. Ce n'était pas une sinécure que de se mesurer à elle en temps normal alors dans son état cela relevait surement d'une pointe de folie. Mais le noble était bien content de pouvoir lui faire face, même si ce n'était pas la grande forme, il devait lui montrer qu'il était toujours là. Elle l'observait, le scruttait comme quand il était enfant et qu'il finissait par se soumettre et lui obéir, sauf qu'il n'avait plus dix ans, et l'attitude de sa mère le prouvait : elle était contrariée. Et cela ne signifiait rien de bon....
- Il a bien failli vous noyer ce Verez comme vous dites...oh ne faites donc pas cette tête là mon cher fils, je sais tout ce qui se passe dans cette maison, depuis le temps vous devriez le savoir.
Elle ne le voyait pas mais sous la couverture, son fils serrait le poing à s'en blanchir les jointures. Toujours à épier le moindre de ses gestes. Elle n'avait pas changé. Alors qu'elle devrait être à l'écoute de ses besoins, mais non, il fallait qu'elle se préoccupe plus de l'avenir de son domaine, du nom, bref de tout, sauf de la santé de son fils.
" Il faudra indiquer à M.Verez l'endroit où vous avez ranger mes affaires...je ne vais pas me vêtir de robes de chambre éternellement. Je suis en vie, peut importe dans l'état où je me trouve, je compte mener une existence normale, faire des sorties..." Il marqua une pause pour la laisser digérer et surtout pour reprendre son souffle, " Un jour je reprendrais ma place. "
Dernière tirade qui la laissa blême. Son fils n'avait plus tout sa tête pour penser à regagner l'armée. Cette maudite armée qui le lui avait renvoyé à l'article de la mort. Non. Non. Non. Elle ne le laisserait pas repartir. Elle lui mettrait des bâtons dans les roues. Son pied dans sa bottine luxueuse tapotait le sol avec furie.
- Soit. Embauchons M.Verez.
Zéphyr était surpris qu'elle cède aussi facilement. Elle devait surement avoir une idée en tête pour le contrarier. Il n'avait jamais réussi à vraiment gagner contre elle. Elle trouvait toujours un truc pour le tourner à son avantage.
- Puisque mon fils est en chaise, ça sera à demi-tarif ! |
| | Domestique de Zéphyr | C’est toi que je vais noyer, avec tes sales mouchards, comme on se débarrasserait d’une colonie de rats ; des minuscules ratons aux matriarches obèses. Enfin, je ne réponds même pas à sa pique, gardant un visage impassible. Avec le temps, on apprend à ne plus afficher la moindre émotion devant ces gens-là. Ce qui mène à ne plus en afficher tout court, d’ailleurs. Miguel me le reproche souvent. Lui qui est si extraverti, si exubérant. Je passe pour une statue de pierre, en comparaison. Mais à force d’évoluer dans la haute société, où l’apparence vaut plus que la qualité réelle, on finit par en être profondément dégoûté et par ne plus faire que l’inverse : être bon, bien agir plutôt que de le prétendre ou le paraître. J’ai bien l’intention de m’occuper de lui. Ainsi, quand la baronne lâche sa dernière pique, je réponds du tac au tac : « Alors vous pourrez vous permettre d’embaucher deux personnes. » Détaillons un peu le raisonnement. Il faut que Miguel se trouve un travail qui implique de rester proche de moi, donc de vivre sur la propriété. Jamais cette vieille carne n’acceptera de loger mon frère et ma fille s’il se contente d’être homme au foyer. Il y a des nourrices pour cela. Pour ce qui est de la paye en elle-même, je pense être tout à fait capable de détourner quelques espèces aux entournures et de pouvoir graduellement gagner les faveurs de la baronne pour obtenir des augmentations de mes gages. C’est toujours ainsi, de toute manière : plus on est riche, plus on est proche de ses sous, jusqu’à devenir hargneux. Et donc facilement manipulable. Une émotion forte – comme la cupidité – est un levier puissant qu’un individu place sur lui-même. « Mon frère, Miguel Verez, jardinier de son état. Je pense qu’il vous satisfera tout à fait. » Sans compter le fait que ce domaine est à peine correctement entretenu. Et manque cruellement de style. Je sais bien que les jardins monosianais sont bien différents des lioffelois, mais tout de même, les différences culturelles n’excusent pas tout. Alors que je pense à ma paie, monsieur vit un nouvel épisode du drame familial de cette maisonnée. Le plus important des deux n’est pas celui que vous croyez. D’un côté, la question de savoir si je vais pouvoir nourrir ma fille, de l’autre, celle de savoir si maman nous aime ou pas. Mais ce n’est pas une excuse. Je suis tout à fait capable de mener deux fronts en même temps. Aussi, je fais un geste de main impérieux au mouchard qui suit la baronne comme une mouche la merde et lui dit à voix basse : « Jeune homme, nous aurons besoin d’effectuer quelques changements dans la chambre de monsieur. J’entends que vous vous y rendiez sans tarder et commenciez à réunir tout ce qu’il faut pour nettoyer la pièce de fond en comble. Je veux aussi un inventaire de tous les meubles inutilisés stockés dans les réserves et une équipe de cinq personnes en plus de vous prête à suivre mes directives. Je veux pouvoir m’en charger dès la fin de la promenade de monsieur, aussi ne baillez pas aux corneilles. Occupez-vous en vous-même ou transmettez à qui de droit qui saura s’en charger. » Tu vas apprendre à me respecter et me craindre, et ça commence par se mettre au travail. |
| | Le capitaine disparu | Comment ?! Comment cet avorton de monosianais consanguin osait lui imposer ses conditions ? Ici, c'était elle qui commandait un point c'est tout ! Elle s'était déjà occupée du mari, en même temps ce fut assez simple vu leur différence d'age. Ce n'était pas ce blanc-bec qui allait se mettre en travers de son chemin! Elle avait de grand projet pour son légume de fils. Cependant les mots du nain de jardin firent leur cheminent dans son esprit. Elle réalisa alors ce qu'il lui proposait. Deux hommes pour un demi-salaire, tout bien calculé, cela faisait un homme pour un quart. Voilà qui était bien plus qu'avantageux ! Et contre toute attente, elle ne pouvait qu'accepter :
- A une condition : interdiction formelle que je vois le moindre de vos orteils dans mon carré botanique personnel !
C'était son petit coin de paradis, elle n'avait pas envie que quelqu'un y mette ses gros sabots pour piétiner ses plates-bandes. Pire encore, que l'on vienne à découvrir que certaines plantes étaient douteuses. Même son cher époux et son fils n'avaient jamais eu la permission d'y venir !
Zéphyr bouillonnait intérieurement. Il avait appris au fil des années à ne pas se laisser envahir par la colère. Cela ne servait à rien de brailler à tout va, cela finissait pas effrayer les gens plus que de les faire obéir, il suffisait simplement d'employer le bon ton et d'y mettre la bonne forme pour se faire respecter. Mais face à l'attitude de sa mère, il lui était difficile de se contenir, c'est comme si elle considérait Tulio et son frère comme des esclaves ! Il ne pouvait pas laisser passer ça.
Après une énième fourberie de sa mère, et une tirade non moins virulente de la part de Tulio, Zéphyr estima qu'il était grand temps de se retirer, de regagner son antre où on lui foutrait la paix. Une fois de plus, on ne pouvait pas dire qu'il avait brillé mais il avait obtenu l'essentiel : l'embauche de Tulio.
" Rentrons Tulio si vous le voulez bien. "
Sortir, mais surtout affronter sa mère, l'avait épuisé. Zéphyr souhaitait plus que tout retrouver sa tranquillité. Il le savait : les jours, et les semaines qui suivraient ne seraient pas de tout repos pour lui. Une fois seul avec son domestique, il reprit la parole :
" Je suis navré du tour que ma mère vous a joué. Je comblerai un salaire entier mais je ne peux me permettre de le faire pour les deux."
Un rapide calcul lui suffit pour comprendre que même avec toute la bonne volonté, ses économies ne suffiraient pas à payer 2 personnes pendant des années. D'autant que Tulio allait probablement rester à son service pendant longtemps. Et comme le jeune homme semblait attacher à son frère...
" Mais si vous avez un besoin exceptionnel faite-le moi savoir quand même. " |
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