Lioffel XX se recala dans son fauteuil pour prendre connaissance de l'audience suivante. La quatrième de la soirée. Il avait réussi à rattraper les horaires prévues, en écourtant celle de la jeune Aya Krom de deux minutes. Cela pour deux raisons : il ne fallait en aucun cas prendre du retard et l'heure était l'heure. Point. Même une tentative d'assassinat ne pouvait entâcher cela. Ses invités devaient comprendre que rien ne saurait l'arrêter dans ses projets avant qu'il ne l'ait décidé.

Quant à la deuxième raison, elle était très simple. La jeune femme était une Manteau Blanc. Aucun besoin de s'étendre davantage sur la question. Par définition, elle habitait dans ce palais et de fait, elle n'avait rien à lui demander. Aucune proposition à soumettre - encore moins une oeuvre de charité. Elle n'y était pas invitée et par ailleurs, ce n'était pas son rôle non plus. Elle était ici pour protéger le Prince.

Il avait accepté de la rencontrer ce soir parce que cette soirée devait laisser une trace indélébile dans l'histoire Lioffeloise - et Istanyloise ! Pour cela, et seulement par cela, elle n'avait pas été refoulée à la porte par les Gardes Noirs. C'était un peu comme un cadeau qu'il lui faisait. Il fallait également reconnaître qu'elle était ravissante.

Quoique. En parlant de jeune femme ravissante, justement... La jeune comtesse Dunto, qui devait à l'heure actuelle patienter à la porte qu'on la laisse entrer, avait une réputation certaine dans le domaine. La rose blanche, disait-on, était belle à en couper le souffle. Et comble de toutes les chances pour les amants, elle était veuve. Les belles femmes de ce royaume étaient décidément toutes seules - et savaient comment se faire désirer. Cela lui rappelait une certaine personne de son entourage. Une pensée qui le fit sourire brièvement.

Avant que son esprit ne reprenne un chemin plus adéquat. Il y avait eu beaucoup de rumeurs, sur cette Ivid Dunto. La mort de son mari, notamment, avait posé beaucoup de questions à la cour royale. Personne n'en savait ce qu'il en était exactement et il s'agissait ici certainement plus de racontars que de faits vérifiés. Malgré tout, la visite de Jildazig l'avait conforté dans une chose qu'il avait toujours sue : se méfier des agneaux. Une rose avait des épines sur lesquelles on pouvait se piquer le doigt.

Ce fut avec cette pensée en tête qu'il la laissa entrer.

Charmante, elle marcha vers lui, et il l'invita alors à prendre place dans le fauteuil, tout à fait aimablement. Il baissa les yeux brièvement sur les verres de vin posé devant lui. L'un d'eux était empoisonné. A la moindre suspicion, il n'hésiterait pas à s'en servir. Jildazig lui avait finalement fait un très beau cadeau.

- Je vous souhaite le bonsoir, ma dame. Cela faisait longtemps que je ne vous avais pas vue dans les environs, je suis fort aise de voir que vous vous portez bien. Passez-vous une bonne soirée ?

La jeune rose entra dans le salon royal et fit une révérence, tout cela avec élégance. Il fallait avouer que le roi avait toujours une aussi belle carrure pour son âge de plus avec surtout beaucoup de charismes et d'ambitions, c'était ce qui faisait tout son charme. Un homme non seulement ravissant et infiniment puissant... Elle comprenait parfaitement le choix de la duchesse noir.

Un magnifique trophée de chasse.

Elle finit par s'asseoir sur l'un des fauteuils, toujours avec un splendide sourire :

- Merveilleusement. J'espère sincèrement que Sa Majesté se réjouit autant de ces grandioses et magnifiques festivités qui sont à la hauteur de son honneur.

Ce bal avait été dû être organisé en demandant énormément d'heure de travail pour arriver à un tel résultat, le roi voulait donc impressionner tous ces convives, nobles lioffelois mais aussi les autres territoires en dehors de Lioffel. Montrer à tous la richesse de ce royaume.
Ou bien....
Régler quelques comptes.
Ivid était loin d'être dupe, le souverain avait obligatoirement d'autres plans en tête et n'était pas si tolérant avec ces plusieurs ennemis près à le nuire. Peut-être que certains bourgeois pensaient sérieusement qu'il était un très bon roi, mais personnes niaient ses meurtres, sa détermination à maintenir la guerre contre Birla et surtout son amour pour les conquêtes avec les femmes consentantes ou non. Quel merveilleuse idée d'organiser de superbes festivités afin d'attirer dans son propre entre ses proies...

Quant à Ivid, comme toujours elle préférait rester observatrice et n'agir quand le moment s'y prête...

- Je ne suis point la seule à être pleinement admirative de ce bal, tous vos convives sont tous aussi émerveillés. Je suis certaine que ce bal restera marqués dans les esprits.

Marquer les esprits. En effet ce bal allait le faire...
Ivid continua de sourire innocemment, plaça sa main sur son coeur puis baissa délicatement sa tête délicatement comme une plus simple révérence :

- C'est pour cela que je voulais tout d'abord vous remerciez infiniment pour votre invitation, puis bien sûr de vous souhaiter un magnifique anniversaire.

Tandis que la jeune femme répondait en s'installant, Lioffel ne se départit pas de son sourire. Ce bal était le bal des apparences. Ce n'était pas pour rien que le roi avait choisi les masques comme thème de cette soirée. Parce que ce soir, même les plus innocents se cachaient derrière quelque chose. Un sourire, une lueur de tristesse dans les yeux, un air affable. Personne ne donnait l'impression d'être venu pour le tuer et pourtant...

Pourtant, la moitié de la salle était ici avec ces intentions. L'assassiner. Mettre un terme à son règne sanglant. Les quelques admirateurs qu'il lui restait lui seraient fidèles jusqu'au bout, à n'en pas douter, mais pour les autres. Il lui fallait se méfier, même de son ombre. Les coups pouvaient arriver de n'importe où, et s'il allait mourir cette nuit, il était encore trop tôt pour partir. Où passerait alors le plaisir de s'amuser ?

Il croisa les mains sur son ventre plat.

- Eh bien, en effet, je dois dire que cette soirée n'est pas pour me déplaire, jeune dame. Ne trouvez-vous pas cela palpitant ? Mais je vous en prie. Servez-vous des petits fours.

Il fit un geste vers les amuses-bouches que Gasapard avait ravitaillé. Il ne proposa, cependant, aucune boisson. Pas pour le moment. Il voulait aviser. Jauger la jeune femme qui lui faisait face. Et elle semblait en faire de même. Ainsi se regardait-il les yeux dans les yeux, sans qu'aucun des deux ne semble prêt à céder à l'autre. Son sourire s'aggrandit, révélant ses dents blanches. Et une fois n'est pas coutume, son expression avait quelque chose de bienveillant.

- Oh, oui, vous avez raison. Ce bal restera longtemps dans l'Histoire Istanyloise. Il s'agit là de mon intention ! Et croyez bien que je vous remercie de vos compliments et de ces louanges. Je doute d'en mériter autant, pourtant.

Il répondit à son mouvement du buste, main sur le coeur, par une inclinaison de la tête. Une manière de lui signifier : voyons, ma chère, inutile.

Il fit une pause, puis reprit :

- Mais vous alors ? Êtes-vous venue à ce bal, et demander une audience, simplement pour me féliciter ou bien avez-vous d'autres projets en tête ... peut-être plus inavouables ?

Sa majesté avait l'air pourtant si calme, alors qu'il savait clairement que les conjurés grouillaient dans son palais en ce moment même, tous prêt à mettre fin à son règne une bonne fois pour toute. Il fallait avouer qu'ils avaient chacun de bonnes raisons de l'achever que ce soit générale ou personnelle, le roi était loin d'être un ange.
Sa fin serait un terrible événement pour ceux qui lui vouaient entièrement fidélité et une magnifique nouvelle pour les autres. Le prince finirait enfin par monter sur le trône, même si d'après des rumeurs il ne serait point prêt à diriger correctement le royaume. Mais les fidèles au défunt roi ne resteront pas sur leur fin, eux qui étaient royaliste deviendront par la suite eux-mêmes conjurés.

Le cycle éternelle de la couronne.

Ivid piqua une mini tartelette et la dégusta en croquant dedans. Un petit sourire au coin se dessina sur ses lèvres :

- Sa majesté reste bien modeste...

C'est pourquoi,  que Lioffel XX avait sûrement besoin d'une femme à ses côtés avant de laisser sa vie, profiter d'une dernière fois de la douceur et du goût aphrodisiaque. Ivid serait la candidate idéale, la jeune blonde au corps disait-on à en couper le souffle et à la beauté éblouissante. Mais pour l'instant il en était pas question, et le roi avait d'autres projets dans l'esprit pour mettre de côté sa prudence.
Elle soupira et prit un air déçu :

- J'aurais pourtant souhaité ne demander audience que pour vous offrir tous mes compliments mais certains inconvénients sur une question de titre est venu s'immiscer dans mes intentions. En effet, le frère de mon défunt mari se dit prétendant du statut de comte de Dunto, et cherche en vain de l'acquérir. Malheureusement, ce souhait met en péril nos liens et cela m'attriste énormément. - elle leva doucement son regard dans celui du roi - C'est pour cela, que j'aurais beaucoup aimé obtenir votre avis sur la situation afin de trancher le débat.

Le roi eut un sourire amusé. Lui ? Modeste ? Non. Bien sûr que non. La modestie était pour les plus faibles. Douter de ses capacités laisser des failles dans un gouvernement. Il fallait toujours être sûr de soi. Porter un masque et donner l'impression ne suffisait pas. Non, il fallait être persuadé qu'on prenait les bonnes décisions. Ne pas remettre en doute ses actions, même si elles étaient mauvaises et que vous le saviez.

Certains critiquaient cette manière de gouverner, diriez-vous. Beaucoup, ajouteront encore d'autres. Mais qu'importe. Cela n'en changeait rien aux faits : il était sur ce trône depuis bien plus longtemps que son père, qui tâchait pourtant de faire le bien autour de lui. Qui se souciait des autres. On l'avait assassiné. Preuve que c'était une manière ridicule de faire les choses, qui ne fonctionnaient pas.

Si Lioffel serait tué ce soir, ce n'était que parce qu'il avait rassemblé les personnages les plus puissants du royaume au même endroit. Sciemment. Mais il avait une personne digne pour lui succéder. Une personne qui lui ferait honneur, il le savait. La seule personne qui le pourrait.

- Qu'est-ce que la modestie, madame ? Un ramassis de propos qui visent à nous faire paraître plus noble que nous le sommes. Non, je n'en suis pas, je peux vous le dire.

La véritable raison de la comtesse ne tarda pas à venir sur le tapis. Il eut un léger froncement de sourcils en écoutant les propos déroutants que la jeune femme évoquait. Des querelles de pouvoir pour la famille Dunto ? Tiens donc. Il n'était pas au courant de telles choses. Et ses espions étaient pourtant les meilleurs que l'on puissent trouver. C'était fort intriguant.

Il n'en montra rien cependant et se pencha lui-même pour prendre un apéritif. Juste un seul. Il répondit posément après avoir pris le temps de mâcher :

- Eh bien, le débat est clos. Les lois sont claires : le frère de votre mari n'a rien à faire dans les questions de succession. Vous êtes la comtesse Dunto, et il n'a nullement le droit de réclamer le titre. Vous devriez le savoir. Pourquoi donc vous laisser marcher sur les pieds de cette manière ? Avez-vous besoin d'un message de ma part pour le prouver ? Vous auriez pu demander cela à n'importe qui d'autre, il me semble. Et pourtant...

Pourtant, elle était là. Quelque chose clochait.

- Est-ce donc la vraie raison de votre visite ? Ou bien me mentez-vous pour cacher des objectifs bien différents ?

Comme par exemple...
Un assassinat.
Ce serait fort regrettable d'accuser cette jeune femme de trahison, pourtant, mais il le ferait sans hésitation.

Elle mentait ? Elle ria de cette question intérieurement. Ce qu'il y avait de merveilleux avec le mensonge, c'était que plus celui est gros, réfléchi et travaillé plus il réussirait à passer inaperçu mais par contre... les conséquences en étant plus que destructrices.

- Ne sommes pas tous légèrement menteur...? Votre Majesté. - sur son visage se dessina un sourire taquin mais aussi mystérieux - Si vous souhaitez le savoir, j'ai bien d'autres projets en tête mais elles ne sont point tournés vers vous.

Non, elle n’avait rien contre lui… Lorsqu’une conversation venait à se diriger vers le roi, les propos de certain devenaient comme parfois incohérents, ils se plaignaient d’un certain problème en particulier mais finissaient tout de même par complimenter celui-ci… La peur ? Très certainement…

- J'ai malheureusement certains inconvénients a réglé avec quelques méchants loups présents à votre bal. - son regard devient un peu plus sombre que d'habitude et contrasta avec son air d'innocence - Le premier étant Monsieur Argestes...

Une nouvelle fois, les choses se vérifiaient. Les agneaux n'étaient que des loups déguisés, à quelques exceptions près. Vous ne pouviez compter sur personne, sinon sur ceux que vous teniez entre votre paume et que vous pouviez décider d'écraser à tout moment. Il ne savait ce que venait faire cette jeune comtesse dans les environs, mais ses objectifs profonds étaient flous. Il ne prendrait aucun risque - pas sur ce plan-là. C'était ce qu'il se disait en baissant les yeux sur les verres. Sourcils légèrement froncés, il releva cependant les yeux vers elle quand elle ouvrit la bouche :

- Ne sommes-nous pas tous légèrement menteurs, Votre Majesté... ?

Le ton de la jeune femme sonnait comme une question. Elle terminait en suspension, comme en attente d'une réponse. Mais c'était rhétorique. Lioffel usait de cet art mieux que quiconque et il savait reconnaître que ses interlocuteurs l'utilisait aussi. Il eut un sourire en coin. Léger, tandis qu'il la laissait poursuivre.

Ainsi donc, elle avait des projets, mais pas envers lui. Alors de quels genres de projets s'agissaient-il ? Il n'ouvrit pas la bouche, attendant qu'elle poursuive. Les réponses arriveraient bientôt, à n'en pas douter. Finalement, il sourit.

- Certains méchants loups. Hum, je vois. Mais je dois admettre que les méchants loups sont nombreux ce soir, et toutes crocs dehors, n'est-ce pas ? Lesquels d'entre eux vous posent-ils problèmes ?

Un nouveau sourire. Un nom qui tombait. Ce cher, si cher banquier, il avait nommé Silas Argestes. Son expression se fit carnassière.

- Ah, ce cher Silas. Vous ne trouvez pas qu'il a le don de mettre le nez là où cela ne le regarde pas ? Faites donc ce qui vous plaît, et régler vos problèmes avec lui mais... si vous pouviez avoir la bienséance de le laisser me rencontrer avant. Je suis curieux de voir quelles raisons l'amènent jusqu'à moi ce soir.

Le roi n'a aucunement l'air de plus se préoccuper de ces convives, un détail qui ne faisait que de confirmer qu'il avait lui-même des projets plus importants en tête. Comme une audience avec l'héritière de Birla, qui d'après les rumeurs circulant à une grande vitesse dans la salle serait en réalité la fausse Edra de Lettald, la même ayant posé parfois des questions plus que douteuses sur Sa Majesté... Les ragots se répandaient rapidement de bouche à oreille et ils en étaient bien difficile d'y mettre fin et d'en assuré le contraire. Elle ne pouvait que plus les connaître, elle qui les avaient subit et les subit toujours pour ce qui étaient sur la mort si mystérieuse de son défunt mari. Mais au contraire d'elle, la comtesse savait rester discrète sur ce sujet...


- Il faut tout de même avouer que certains réussissent à très bien cacher leur jeu jusqu'au bout, pourtant ce sont bien eux les plus redoutables... Mais non, Votre Majesté. Pour l'instant, je ne vise point ces loups, je préfère d'abord régler mes soucis avec ceux qui exhibent sans pudeur leurs crocs.

Ces fameux loups impitoyables et sans coeur, prêts à planter leurs crocs dans le cou de leurs proies en portant un coup fatal. Mais la plupart n'arrivaient à retenir leur désir sanguinaire et malsaine. Pourtant, la patience était une importante qualité pour ces féroces animaux, elle permettait de laisser confiance à l'agneau en se délectant et riant de sa naiveté. Comme les petits-fours, il faut toujours déguster lentement afin de profiter au mieux de ce goût si délicat en bouche...
Elle eut un sourire amusée :

- Je vous en remercie, Votre Majesté. Ne vous inquiétez point, je ferais en sorte qu'il soit encore vivant jusqu'à l'heure de votre entretien.

De plus, il serait illogique qu'il refuse à la comtesse lui proposant gentiment de lui faire le travail à sa place...
Elle jeta son regard sur la pendule visible dans toute la pièce, elle se leva de son fauteuil et se mit à faire une révérence, tout ceci avec élégance :

- Je m'aperçois que l'heure de mon audience vient d'aboutir, et cela me dérangerais de chiffonner Sa Majesté sur la durée de ses entretiens alors que celui doit être grandement occupé avec un tel bal à son honneur. Je vous offre toutes mes louanges et mes compliments.

Elle se releva délicatement :

- Je vous souhaite une excellente soirée.