Jan avait de nouveau était envahi par ses démons sans parvenir à les maîtriser. Pleines de bonnes attentions pour lui, la Comtesse avait pris congés du héros de guerre, l'invitant à venir respirer l'air nocturne.

Il ne s'était guère fait prier, lui proposant aussitôt son bras, bien trop heureux qu'il était de quitter l'atmosphère étouffante de la salle de bal. La chaleur y était proprement insupportable et si les dames pouvaient se pavaner dans leurs robes au décolleté pigeonnant sans risquer d'attraper un rhume de gorge, il n'en allait pas de lui même qui suffoquer dans son élégant costume. La moiteur de sa peau collait à sa chemise de coton blanc et les spectres qui le hantaient n'arrangeait rien.

Lorsqu'ils arrivèrent aux allées fleuries, le baron de Hafdyrr prit une profonde inspiration aussi profonde que la toute première de sa vie. Il laissa l'air s'infiltrer dans chaques alvéoles de ses poumons, gorgeant son sang d'oxygène. Ses narines s'emplirent des fragrances nocturnes fleuris: rose, jasmin, freesia, humidité des parterres...  
Le son lui même avait fortement diminué, il ne subsistait autour d'eux que le léger murmure de quelques couples ou petits groupes, ponctué d'éclats de rire. En fond, les grillons poursuivaient inlassablement leur chant.

Jan culpabilisait d'avoir manqué à son devoir, l'obligeant à quitter la salle et à s'enquérir de son bien-être.

- N'avez-vous point froid Ma Dame? Je ne pourrais me le pardonner si vous deviez tomber malade par ma faute.

Il posa sa main sur celle de la jeune femme, chaude et délicate, avant de se raviser, préférant détourner le regard pour en admirer la silhouettes des allées éclairées par quelques lanternes. Une boule se noua dans sa gorge, il essaya de l'avaler péniblement sans parvenir à faire disparaitre cette horrible sensation.

Il pouvait la sentir, là tout près de lui, et tellement inaccessible. Il pouvait effleurer son souvenir, sentir le goût de ses lèvres sucrées, apercevoir ses petits yeux malicieux, entendre ses éclats de rires cristallins...


- Je suis navré d'avoir gâché vos retrouvailles par mes humeurs. Veuillez accepter mes plus sincères excuses.

Il s'inclina avec une profonde déférence. Elle ne méritait pas de subir ses états d'âmes. Elle était si douce et attentionnée...

Ivid profita de l'extérieur pour respirer à plein poumons l'air si frais et pure de la brise mêlé aux doux parfums que pouvait offrir les magnifiques fleurs des jardins. Elle espérait que l'ambiance reposante de cet endroit permettrait à son cavalier de chasser le plus possible ces horribles pensées noirs. Elle se sentait faible de ne pas pouvoir l'aider à sortir de ces ténèbres capables de le ronger si facilement et rapidement au plus profond de son âme. Elle était prête à tout ce qui était en son pouvoir pour le voir sourire du moins pour quelques si courtes minutes.  

Lors de leur marche, elle put avoir la chance de contempler des roses blanches, elles étaient ses préférés. Elle les admiraient non seulement pour leur beauté irréprochable mais également pour leur pureté grâce à leur couleur. Pourtant, une rose rouge désignait la sensualité et parfois même un certain côté plus sanglant. La blancheur réussissait donc à briser cette représentation d'origine de cette fleur. Cependant, n'importe que soit la couleur de celle-ci, elle garderait quant même sa caractéristique principale et si dangereuse : ses épines.

Jan lui demanda si elle n'avait froid, elle lui sourit et lui répondit d'une voix rassurante :

- Ne vous inquiétez pas pour moi, je vais bien. C'est moi qui devrait m'inquiéter pour vous, la brise nocturne vous fait-il du bien ?

Puis Jan lui demanda son pardon pour avoir perturber sa rencontre avec Nathanael. Elle lui demanda avec un regard bienveillant :

- Je vous en prie Monsieur Hansenclever, vous n'avez pas à vous excuser ainsi.

C'était plutôt à elle de se pardonner pour avoir souhaité de commencer la discussion avec ce pauvre sans-abri qui il était vrai avait donné sa présence à ce bal sans qu'elle ne sache encore la raison.

Pendant leurs danses, il lui avait annoncé indirectement son statut d'homme veuf tout comme elle. Sans aucun doute, elle en avait conclue que sa mort était la source principale de ses "crises d'angoisse et de morosité". Il semblait si aimant de sa défunte femme, il lui restait fidèle à vie.

Au contraire de...lui.

- Vous l'aimiez, n'est ce pas ?...

Sur le coup, elle regrettait de lui avoir posé cette question. Leur venu dans ces jardins avaient pour but de lui rafraîchir les idées et non l'embêté avec ses très mauvaises pensées.

Jan n'avait pas manqué de remarquer son intérêt pour les épineuses fleurs. Lui aussi avait appris à les apprécier. Il aimait leur multitudes de variétés et de couleurs, leur senteur délicate ou au contraire entêtante. Elle aimait particulièrement les anciennes roses, d'un rose pastel, tout en simplicité et en rondeur. Celles qui avaient gardé un peu de leur gènes sauvages...

Il hocha la tête, un discret sourire sur ses lèvres. Sa cavalière était bien trop attentionnée pour son propre bien. Quand on connaissait les rapaces qui régnaient ici... Il ferma un instant les yeux, afin de se recentrer sur l'instant et s'excusa de son comportement déplorable face à Nathanaël.

Marché lui faisait du bien, il se sentait à nouveau respirer et pu accueillir aussi bien que possible cette invitation à évoquer le passer.

Il sentait les tentacules du désespoir ramper et s'entortiller autour de son âme. Menaçant de l'étouffer. Il prit une profonde inspiration, ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. Il n'en avait jamais parlé depuis... Depuis ce funeste jour de mars.

A nouveau ses paupières se fermèrent et il tenta de parler.

- Elle était ma raison de vivre.


Sa gorge se noua, il ouvrit à nouveau les yeux, posant son sombre regard sur les fameuses fleurs. Il se baissa pour en cueillir une, petite et delicate, à sa base. Il la fit tourner entre ses doigts, contemplant l'art de la nature.

- Cela fait cinq années... C'est ridicule n'est-ce pas?

Il soupira et se tourna vers la Comtesse.

- C'etait ses préférés. Celles-ci très précisément.

Il lui tendit la fleur d'un rose pâle délicat. Elle n'avait pas beaucoup de pétales comparée à d'autres et elle aurait pu passer pour une pivoine si ce n'était ses petites épines...

Ivid s'en voulut beaucoup pour lui avoir demandé à Monsieur Hasenclever de redescendre dans les profondeurs de ses pires hantises. Elle-même détestait y aller et essayait tant bien que de mal de les chasser, mais ils prenaient tellement et trop de place dans son âme. Surtout quand ceux-ci ne faisaient que de s'accroître de jour en jour... Elle ajouta avec un air de pitié :

- Je suis énormément désolée. Je pensais qu'ouvrir votre coeur, vous permettrait de vous faire un peu de bien.

Malheureusement personne ne pouvait cacher éternellement "ses sombres roses épineuses" malgré les plus grands efforts possibles. Elle savait que même les siennes referont un jour surface dans son être.

La vérité finissait toujours par être dévoilée.

Quand Jan lui tendit la fleur, la jeune femme la prit délicatement et la contempla avec un léger sourire. Elle remarqua que son cavalier n'avait pas prit la plus belle d'entre elles, en effet elle avait moins de pétales que les autres. Pourtant, elle avait l'air de posséder quelque chose de merveilleux en particulier. Cette fleur rose pâle désignait une belle femme avec une grande joie de vivre et son charmant sourire devait sûrement en témoigner. Ivid comprit instantanément la peine qui rongeait son accompagnateur, elle était la source de son propre bonheur.

Il était la source de son malheur...

Elle lui sourit pour enfin lui demander :

- Elle est magnifique, je comprends complètement son choix. Dites-moi, quelles sont vos préférés ?

Malgré toutes ces années, Jan la discernait encore parfaitement dans son esprit. Son sourire rieurs, ses yeux verts émeraudes plein de malice, sa peau de porcelaine réhaussée de petites pommettes rosées, ses longs cheveux châtains clairs aux accents cuivrés pareils aux dernières lueurs du jour cascadant sur ses délicates petites épaules. Portrait éternellement figée sur sa dix-neuvième année. Comme à chaque fois, son portrait se brouilla laissant place une scène aussi sanglante que cauchemardesque, la belle dormant éternellement sous des draps carmins. Et ce petit être...
Un haut-le-cœur le saisit, lui coupant la respiration. Il empoigna sa tête entre ses deux mains avant de la secouer. Depuis les abysses de son âme, une douce voix lui tendait la main

Je suis énormément désolée. Je pensais qu'ouvrir votre coeur, vous permettrait de vous faire un peu de bien.


Une inspiration suivie d'une longue expiration le ramena à la réalité. Le bal, cette ultime soirée de tourmente, la délivrance, la roseraie et son attentionnée cavalière.

- Vous n'avez rien à vous reprocher Madame, bien au contraire. Je n'en avais parlé encore à personne, depuis... le restant de ses paroles se perdirent dans le chant des quelques grillons encore zélés de cette fin septembre. Il reprit bien vite le court de ses pensées.

Cinq ans... Il est temps de tourner la page n'est-ce pas? Et cette soirée en est l'occasion de rêver...

Entre temps il avait cueilli l'une des ces petites fleurs délicates qu'elle affectionnait tant et lui avait rendu afin qu'elle puisse à son tour l'observer. C'était l'une des rares choses tangibles qu'il pouvait partager avec elle de ses souvenirs et il espérait qu'elle l'apprecierait à sa juste valeur. Il lui laissa le temps de s'imprégner de cette fleur si simple et si belle avant qu'elle ne lui demande ce que lui préférait.

Il faillit répondre du tac au tac, "la même" tout en prenant conscience que ce n'était pas une réelle réponse. Il aimait ces fleurs car elle les aimait et que les voir, les toucher, les sentir, lui permettait l'espace d'un instant de donner vie à sa mémoire. Mais lui qu'allait-il? Il ne s'était jamais posé cette question. Il avait passé finalement peu de temps avec elle mais elle avait été  toute sa vie.

- Je... Je n'en ai pas la moindre idée Ma Dame. Et vous lesquelles aimez-vous? Les blanches ? demanda-t-il plus ou moins fortuitement.

Un sourire se dessina sur ses lèvres, plein de bienveillance  alors qu'il semblait retrouver ses esprits. Il lui offrit son bras afin de poursuivre la balade.

- Venez,.il y à là bas un petit banc près d'une fontaine, sous une voûte de rosiers grimpants. C'est prodigieux et leur parfum embaime l'air, surtout dès lors que l'humidité en imprègne leurs pétales. Certes le spectacle est plus admirable encore en journée mais j'espère qu'il vous plaira. Peut-être me feriez-vous à votre tour l'honneur de m'ouvrir votre cœur ?

Il avait demandé cela sans vraiment attendre de réponse. Il accepterait l'une comme l'autre des réponses. Il appréciait sa compagnie et son acharnement à vouloir lui rendre le sourire alors tout naturellement, il voulut la découvrir un peu plus.

Malgré les fortes racines de ces "sombres roses épineuses", son cavalier avait le souhait d'essayer de regarder devant soi et de ne pas se laisser étouffer par les épisodes les plus noirs de son passé. Heureuse d'apprendre cette cette volonté de jouir du moment présent, elle lui sourit et acquiesça :

- Vous avez raison.

Elle aurait aimé faire de même.

Ensuite, il lui demanda à son tour qu'elle sorte de fleur appréciait-elle particulièrement, celui-ci avait dû remarquer sa préférence pour les roses blanches. Ivid sourit de plus belle, elle ne les aimait pas...

Elle les admirait.

Elle lui répondit :

- En effet, je les trouve magnifiques.

Puis, il lui offrit à nouveau son bras afin de l'accompagner vers l'arche fleurie de ces jardins, elle accepta avec joie. Mais il lui proposa de faire de même avec lui, ouvrir son coeur. Ivid fut dans un premier temps impressionné par sa demande, mais après réflexion elle aurait dû sans douter.
Elle n'aimait pas en parler et même y repenser et détestait les personnes qui insistaient pour aborder ce sujet si fragile à son égard.

Que de mauvais souvenirs...

Pourtant, Jan n'avait l'air de vouloir insisté dessus et cela la soulagea. Donc, elle ajouta avec un air plutôt anxieux :

- Et bien...Tout comme vous, personne ne m'avait jamais posé la question auparavant. - un petit moment de silence se suivit - Vous devez sûrement savoir que je suis veuve d'un mari dont la mort mystérieuse a bien attisé la curiosité de la bourgeoisie. - elle lâcha un petit rire nerveux - Les nobles ne perdent pas de temps en ce qui concerne l'alimentation de leurs ragots ou bien rumeurs.

Elle avait aimé sincèrement son défunt mari, il avait été drôle, doux et était capable de lui offrir ses désirs les plus somptueuses rien que pour asservir son propre bonheur. Celui-ci avait été, en effet, surtout plein de belles paroles qui avaient réussi à atteindre le coeur de la jeune femme et la faire ainsi devenir folle de lui.

Un vrai Dom Juan

Jouir du moment présent.
Un désir profond qu'il était incapable de satisfaire depuis des années. Pourtant ce soir, la page se tournerait enfin. Il en avait l'intime conviction. Ce bal était une occasion en or pour cela. Une de celles qui ne se reproduirait sans doute jamais alors il ne comptait pas la laisser passer. La seule chose qu'il ignorait encore c'était comment procéder...

La conversation dévia avec agilité sur les fleurs, les roses en particulier avant qu'il ne l'entraine un peu plus moins dans un endroit qu'il affectionnait particulièrement dans ce palais. Elle aussi l'appréciait... Mais avoir ouvert son cœur précédemment, même si peu, avait permis de dompter momentanément ses tourments. Il lui proposa d'en faire de même.

Un léger malaise s'installa et il regretta d'avoir poser cette question délicate. Il l'encouragea d'un sourire bienveillant à poursuivre si elle le désirait. Il ne la quitta pas du regard, observant ses prunelles émeraudes de même que les moindres muscles de son visage, depuis ses zygomatiques qui se relevaient en un sourire nerveux jusqu'à ses discrets cils.

[color:364d=#mediumturquoise]- J'en ai entendu parler en effet. Je suis navrée que vous ayez eu à supporter ces calomnies dans pareilles situations. Je n'arrive pas à croire qu'on puisse ainsi colporter de telles nouvelles si vénéneuses et s'en réjouir.

Son visage s'était fait sévère. Les nouvelles circulaient vite dans le milieu aristocrate, notamment les décès, mariages, naissances. Comme tout un chacun, il avait entendu parler de cette mort mystérieuse. Certain disait qu'il s'agissait d'un domestique, d'autres qu'il était mort d'un accident de chasse quand d'autres encore affirmaient qu'elle aurait elle-même tuer son mari . Une chose était sûr: aucun de ces versions ne semblaient s'accorder.

Foutaises!

La seule certitude du baron était qu'il avait bien dû y avoir une enquête et donc que l'affaire avait dû être tirée au clair depuis tout ce temps. Etrangement, les rumeurs semblaient trouver leur terreau dans les disparitions de maris alors même que celles des épouses ne suscitaient que peu de remous, au mieux une compassion aussi brêve qu'hypocrite. La plupart de ses pairs ne comprenaient pas l'obsession quasi puéril qu'il avait à se rattacher à sa défunte épouse quand il était encore suffisamment jeune pour se remarier.

Ils s'assirent sur un banc de pierre, sous l'arche de fleurie puis Jan prit sa petite main entre les siennes.

- Je suis désolé que vous ayez eu à traverser pareilles épreuves. Ces personnes ne s'imaginent pas tout le mal qu'elles peuvent faire en répandant de pareilles médisances. Je ne suis que trop bien placé pour m'imaginer votre souffrance. Me donnerez-vous votre secret pour avoir réussi à tourner la page de cette histoire?

Peut-être qu'elle ne l'aimait simplement pas. Après tout, les mariages arrangés étaient encore légion et Jan pouvait s'estimer chanceux d'avoir épouser celle qu'il aimait vraiment...

En effet, le décès de son mari a bien fait du grand bruit parmi la noblesse, les aristocrates se sont empressés sur l'occasion pour animer leur conversation, de plus quand cette mort n'avait de meurtrier et de raison. Ce qui la rendait mystérieuse et bien plus alléchante comme sujet à débattre. Elle détestait être prise en interrogatoire par ces nobles trop curieux d'en apprendre davantage, alors qu'elle-même n'en savait autant qu'eux ou du moins que quelques détails sans réelles importances. Lorsqu'elle était face à ce genre de situation, elle essayait tant bien que mal de détourner la discussion et dans les pires des cas elle se vouait à prendre souvent la poudre d'escampette.

Elle sentit que son cavalier se sentait indigné par ceci, elle voulut le rassurer :

- Ne vous inquiétez point pour moi. J'arrive à comprendre leur curiosité, même si ils ne peuvent savoir que celle-ci peut devenir assez rapidement "énervante".

Lorsqu'il furent enfin assis confortablement sur ce banc très bien disposé, sous un arche magnifiquement fleuri de roses à leur couleur d'origine rougeâtre, son cavalier lui demanda sa technique qui lui a permit de regarder vers l'avant.
Et bien il est vrai, qu'Ivid avait également prit un certain moment pour se remettre de cette annonce, celle-ci l'avait tellement bouleversé psychologiquement. Elle ne put compter le nombre de fois où elle avait eu des difficulté pour s'endormir qui pour la plupart ce finissaient en nuit blanche. Il y avait également les passages de crises de larmes et surtout de colère, qui réussissaient bien à attiser l'anxiété de son entourage, sa famille comme ses propres serviteurs.

Elle avait eu simplement le coeur brisé.

Mais elle réussit à recoller les morceaux petit à petit, en ayant pour but de rendre heureux n'importe quelle personne qu'elle considérait en avoir le besoin. Et Jan en faisait parti, et elle était un peu fière d'avoir réussit sa mission. Mais elle n'était pas complètement finit puisque maintenant il fallait qu'elle le conseille afin qu'il puisse maintenir ce cape.

Elle essaya de se rappeler ce qu'elle put faire pour tourner cette fameuse page, après la mort de son mari. Elle lui sourit en ajoutant instinctivement :

- Il ne faut jamais regretter les moments passés. - un petit silence se suivit - Je veux dire, qu'il ne faut tout simplement guère regretter les moindres choix que nous avions put prendre auparavant.

Elle finit par conclure :

- Si vous êtes satisfait de votre passé alors vous le serez dans le présent.

Ivid était ce petit rayon de soleil qui perçait courageusement entre les persiennes, éclairant de son vif halo une infime portion de la pièce plongée dans l'obscurité la plus totale. Son sourire arrivait à lui faire oublier momentanément la gangrène qui rongeait la moindre parcelle de bonheur dont il disposait encore.

Il en était à un point tel qu'il ne put que lui demander comment elle-même avait pu tourner la page quand lui même s'obstinait à en lire et relire l'ultime phrase.

- Il ne faut jamais regretter les moments passés. - un petit silence se suivit - Je veux dire, qu'il ne faut tout simplement guère regretter les moindres choix que nous avions put prendre auparavant.

Le problème était sans doute là... Jan portait plus de regrets qu'un mulet de contrebande birlais... Mais comment pouvait-il ne pas en être autrement? Il était seul responsable de son malheur. C'était bien lui et personne d'autre qui avait insisté pour qu'elle l'accompagne à Lioffel et puisse découvrir toute la majesté qui y régnait. Il l'avait laissé s'approcher si près du soleil qu'elle s'en était brûlée ses innocentes ailes à tout jamais.

Le baron répondit timidement à son sourire.
- Vous ne regrettez réellement rien?

Il resta songeur un instant, écoutant le clapotis de la fontaine. Se satisfaire du passé? Comment le pourrait-il? Son seul salut résidait dans l'élimination pur et simple de ce passé. Il l'embrassa du regard, inspira et avoua:

- Dans ce cas, je crains de ne plus jamais pouvoir être heureux dans le présent. Comment pourrais-je n'avoir aucun regret de mes choix quand ceux-ci ont causé sa perte?

Son regard fuit le sien, accompagné par sa tête qui se détourne en direction du seuil de la voute fleurie.

- J'aimerai pouvoir oublier, Ma Dame. Je vendrai mon domaine si cela pouvait me permettre d'oublier. à nouveau il lui fit face, un petit sourire aux coins des lèvres Quand je vous vois, j'ai l'impression d'être un marin monosianais perdu dans une tempête, contemplant la lueur vacillante du phare entre chaque nouvelle vague le rapprochant dangereusement du récif.

Malheureusement, le fait de ne jamais regretter ses choix n'était pas réellement sa technique principale pour avancer de l'avant sans se tourner vers le passé. Il y avait une autre manière qu'elle utilise la plupart du temps, bien plus efficace et facile mais beaucoup plus difficile à avouer...

Elle se mentait à elle-même

Bien sûr qu'elle avait des milliers de regrets de ses décisions passés, elle aurait aimé ne pas entendre toutes sortes de rumeurs sur la mort de son mari sortirent de la bouche de nobles au côté malveillant qui n'hésiteraient pas à vous harceler pour avoir la moindre petite information afin d'agrémenter leur conversation, elle aurait apprécié ne pas à avoir connu son décès. Elle aurait voulu ne pas passer des jours et des nuits à ne pouvoir arrêter ses larmes ainsi que ses crises qui avaient bien attiser une certaine peur pour ses proches qui tous ne comprenaient point la raison.

Elle aurait aimé ne jamais le rencontrer.

- Il existe des exceptions. - elle se mit à lui sourire - Je peux comprendre que vous ne pouvez ne pas regretter votre passé. Aller vers l'avant, est loin d'être une tâche facile et cela demande du temps. - elle déposa délicatement sa main sur celle de son cavalier - Mais je suis sûr que vous trouverez pas vous même le moyen de tourner la page.


Il fallait maintenant le lancer sur un autre sujet afin qu'il reste sur, ce qu'elle espérait avoir donner, une lueur d'espoir. Elle réfléchit un très court moment pour enfin se souvenir d'un sujet qu'il avait fraîchement abordé. Ivid se leva et ajouta en direction de Jan :

- Vous ne savez pas quelle est votre fleur préférée ?

La jeune femme s'avança vers les parterres fleuries pour enfin prendre une fleur de chaque. Après avoir récupéré ce qu'elle désirait, elle retourna voir son cavalier et lui présenta le petit bouquet :

- Je n'ais seulement prit que quelques unes d'entre elles. - elle lui sourit - Je comptes bien vous aider à choisir.

Mais je suis sûr que vous trouverez pas vous même le moyen de tourner la page.
Jan tressaillit lorsqu'il sentit la douce main d'Ivid rencontrer la sienne.
Tourner la page. Il acquiesça en silence. Ce soir la page serait tournée. Irrémédiablement. D'une façon ou d'une autre, ce soir tout serait terminé. Peut-être qu'il ne trouverait pas la paix de son âme mais les pendules seraient remises à l'heure.

Du coin de l'oeil, il l'aperçut chercher quelque chose puis à son grand regret, elle mit fin au contact, se levant vers les parterres de fleurs. Elle se baissa, avec une grande élégance et composa un petit bouquet hétéroclite: rose, agapanthes, pensées, myosotis, lys, pivoine, bleuet... C'était fou la diversité qui pouvait se trouver dans ces jardins, qui plus est à cette période de l'année. C'était à se demander comment faisait les jardiniers...

Elle était terriblement touchante, avec son petit bouquet, son sourire innocent et ses irrésistibles petites attentions. Il ne put que lui répondre tout en se levant afin d'en admirer sa cueillette.

- Je suis toujours subjugué par la variété qu'il est possible de trouver en ce bas monde. Comment a-t-on pu créer de pareilles merveilles? Vous vous rendez compte? Aucune d'entre elles n'est semblable à sa voisine. Certaines sont discrètes, d'autres vives. Certaines odorantes quand d'autres n'ont qu'une vague senteur végétale.

Il se pencha pour humer le bouquet, fermant les yeux pour mieux s'en imprégner.

- Je pense que j'aime les lys. Simple mais élégant. Avec de grands pétales et pourtant si fragile. J'aime leur fragrance fleuris qui embaume la pièce dans laquelle ils sont déposés des jours durant créant une atmosphère printanière.

Cela lui rappelait la maison familiale. Il y avait toujours un bouquet de lys ou de lilas fraichement cueillit. L'odeur de cèdre se mêlait aux effluves entêtantes des lys.

Il rouvrit les yeux.

-Que pensez-vous des lys?

Lorsqu'elle lui présenta le bouquet composé de toutes sortes de fleurs de différentes couleurs tel un arc-en-ciel, il regarda avec émerveillement chacune d'entre elles. Ivid ne put s'empêcher de sourire face à tant d'admiration face à sa cueillette.

Elle aimait plus que tout s'intéressé aux plantes fleuries, elle appréciait non seulement les regarder dans toutes leur splendeur mais également de trouver par elle-même leur signification. Leur couleur, leur forme, leur tige, leur pétales, leur parfum, chaque caractéristiques faisant parti de la fleur, elle l'analysait et constituait une interprétation en utilisait un léger soupçon de philosophie. Au final, toutes fleurs avaient ses sublimes qualités...

Et ses vilains défauts.

Elle prit d'une main délicate la fleur afin de la contempler, la description de son cavalier était juste. En effet, elle ne possédait certes que peu de pétales mais celles-ci répandaient une si grande beauté, elle faisaient à elles-même toute l'harmonie du lys. De plus, la dite fleur réussissait parfaitement à dégager une onde positive et une ambiance élégante autour d'elle. Elle jeta son regard doux vers le jeune homme et finit par ajouter :

- Et bien...Elles émanent non seulement une vaste pureté mais aussi une sorte d'innocence. - elle sortit un charmant sourire - C'est un très magnifique choix.

Puis, elle la essaya de disposer sur l'habit de son partenaire, tel un ornement. Quand ce fut chose faite, elle sourit de nouveau :

- De plus elle vous va à merveille.

Un lys une fleur si pur. C'était un paradoxe d'aimer cette fleur quand son âme était aussi noire que les ténèbres. Dévorée chaque jour un peu plus par ses sombres souvenirs.

Il ne quitta pas des yeux la Comtesse tandis qu'elle commentait son choix.

L'innocence... Il l'aimait sans doute. Il l'avait perdu depuis une éternité. Elle avait volé en éclats avec tout le reste. Et Il en était responsable.

Elle arrima le lys dans sa boutonnière avec cette délicatesse dont elle faisait toujours preuve.

- De plus elle vous va à merveille.

Il baissa les yeux sur la fleur. Il en doutait sincèrement. Elle était comme un papillon sur une répugnante charogne. Une aberration de la nature.

Il soupira longuement.
Il était temps.
Temps de passer à autre chose.
Temps de se préparer.
Temps de tourner cette page.

- Venez je vais vous raccompagner dans la Salle de Bal. Vous devriez danser un peu. En plus joyeuse compagnie que la mienne.

Il lui proposa son bras et quelques pas plus loin ajouta.

- Et... des préparatifs m'attendent... Mieux vaut que vous profitiez quelque peu de cette soirée, seule, sans la déprimante compagnie du baron de Hafdyrr. Je parie que nombreux sont ceux qui n'attendent que d'obtenir le privilège de pouvoir contempler votre regard d'émeraude..

Toute lueur dans le sien s'éteignit. Il était désormais bien sombre.
Aussi sombre que la nuit d'encre qui s'était installée sur le Palais.