Quelques minutes seulement que la Commandante avait remplacé les gardes à l'entrée par ces Gardes Noirs. Seulement dix minutes, à vrai dire, et déjà plus d'armes confisquées que depuis le début de la soirée. C'était à se demander combien avait eu le temps de rentrer avant ? Désespérant, ces gardes. Ils n'étaient vraiment bon qu'à faire le piquet devant les portes ! A se demander si Lioffel ne les choisissait pas justement en fonction de leur incompétence.

Célia ne voulait pas imaginer ce qui pouvait bien se balader à l'heure actuelle dans la salle de bal. Toujours était-il que c'était à son tour d'investir un salon pour interroger l'un des suspects.

A en croire ce qu'on lui avait dit, l'homme en question avait refusé de donner son identité et on avait trouvé sur lui deux dagues. Non pas une, mais deux dagues. Fallait-il être suicidaire pour venir à ce bal ainsi armé ? N'était-il pas évident qu'une fouille serait faite, et que de telles armes ne pourraient pas passer aussi aisément ?

Tout cela dépassait l'entendement de Célia et elle espérait bien comprendre ce qui avait poussé cet individu à se présenter de cette manière. Il fallait avoir du culot, c'était certain ! Avait-il conscience qu'il serait suspecté durant toute la soirée, désormais ? A compter du moment où elle déciderait de le laisser sortir d'ici, bien entendu... et ce n'était pas gagné d'office.

Elle avait posé les deux lames sur une petite table, à portée du fauteuil dans lequel elle avait pris place et attendait que l'on lui amène l'homme. Et pas plus tard que cinq secondes plus tard, la porte s'ouvrait. Elle accueillit son interlocuteur sans se lever, sans le saluer davantage qu'un petit hochement de tête poli. On était à un interrogatoire, et ce n'était en aucun cas un petit bavardage autour d'un petit thé. Elle n'allait pas lui donner l'accolade comme une vieille amie. Professionnalisme en tout chose.

Pour ainsi dire, il n'y avait ni rafraîchissement, ni ravitaillement. Célia prenait son travail très au sérieux. La sécurité de la famille royale passait avant tout à ses yeux.

Elle invita d'un geste silencieux l'homme à prendre place en face d'elle et débuta aussitôt, sans même lui laisser le temps de finir de s'asseoir :

- Ainsi donc, vous ne souhaitiez pas dévoiler votre identité ? C'est pourtant une condition sine qua non pour entrer, n'est-ce pas ? Tout comme être désarmé. J'aimerais entendre votre version des faits.

Elle fit un geste en direction des deux lames, posées à son côté, en appuyant sur le dernier mot. Puis, elle ajouta sans tarder, parce que la nervosité déliait plus facilement les langues :

- Laissez-moi vous dire que la soirée commence bien mal pour vous. Ce serait fort dommage de faire si tôt un tour aux cachots ?

Quand elle lui en donna l'ordre - car s'en était un, ne nous voilons pas la face - l'homme prit place dans le fauteuil en face d'elle. Sa pose avait quelque chose de nonchalant, avec ses jambes croisées, et pour ainsi dire, peut-être un brin insolent.

Il se tourna vers les lames posées sur la petite table. Oh, pas de doute ! Il aurait pu les attraper s'il en avait eu envie mais pour une raison ou pour une autre, il ne le fit pas. En fait, c'était assez évident et Célia se savait en position de force. Pour ainsi dire, il aurait certainement eu le temps de la tuer elle, mais quel intérêt ? Elle n'était rien dans ce bal et cela n'aurait eu aucun impact sur son déroulé. Au contraire, cela aurait clairement indiqué l'individu comme conjuré et seul contre une escouade de Gardes Noirs, il n'aurait pas fait long feu. Tout expert quel qu'il soit ne pouvait riposter contre plusieurs de ces soldats implaccables. Il le savait, elle le savait aussi.

Elle le jaugea du regard pour tâcher de percer l'ombre de sa capuche à jour. Qui se cachait sous le tissu ? Elle ne se posa pas davantage la question : ladite capuche tomba aussitôt et révéla un visage. Des cheveux bruns et courts, où se détachait une mèche blanche - quelques vagues souvenirs de la frigidite, certainement - puis, ce fut le masque qui quitta le visage. Le nom tomba ensuite. Comme un couperet.

Artémis Entreri.

Bien entendu. Elle le connaissait. Qui n'avait pas entendu, au moins une fois, un tel nom ? Cela voulait cependant dire une chose : elle ne pouvait pas le laisser entrer. Pourtant. Elle ne pouvait que lui donner raison : les Gardes Noirs savaient être compétents, mais les asticots qui avaient été postés avant eux ? Il y avait beaucoup trop d'armes qui se baladaient à ce bal. Beaucoup, beaucoup trop.

- Si vous avez tant d'ennemis, pourquoi être venu ici ? reprit-elle, en croisant les mains sur son ventre. Monsieur Entreri, veuillez m'excuser mais je doute fortement que vous n'ayiez de bonnes intentions en venant à ce bal. Je connais votre réputation et vos crimes passés.

En temps normal, cela aurait suffit pour le faire mettre en prison. A compter que cela soit capable de le faire arrêter, et rien n'était moins sûr. Elle attrapa les lames sur la petite table et les observa soigneusement.

- Dites-moi une seule bonne raison pour que je ne vous fasse pas raccompagner par les Gardes Noirs.

Une voix sans appel. Il n'avait plus qu'à la convaincre. Et au regard qu'elle posa sur lui, ce n'était pas gagné d'avance.

Le moins que l'on pouvait dire c'est qu'il était culotté cet assassin! Venir au bal armé et prétendre vouloir profiter des plaisirs de la vie... Il la prenait pour la dernière des ingénus ou quoi? Il était bien plus jeune qu'Euphrate qui restait malgré tout un combattant hors pair. Le vieux bouc se fatiguait juste un peu plus rapidement. A côté, Artémis Entreri faisait figure de jeune premier.
Célia ne pipa pas un mot, restant silencieuse malgré cette remarque qui avait de quoi la piquer. Un Manteau Blanc se devait d'être maitre de ses émotions en toutes circonstances et elle s'appliquait à respecter ce dogme à la lettre. Un visage impassible, parfaitement neutre, voilà la seule chose qu'elle offrait aux invités dans ce salon. Un vrai contraste avec l'agacement qui pouvez souvent faire rage dans son esprit.

Elle le laissa donc poursuivre et il fallait admettre qu'il marquait clairement un point. Mieux valait qu'il se trouve ici dans son bureau qu'à entrer par je ne sais quelle porte ou fenêtre de ce palais. La sécurité avait beau être renforcée, il y aurait toujours des failles que les gens comme lui saurait exploiter. Toutefois, il semblait particulièrement motivé à vouloir participer aux festivités. Largement plus que le simple invité qu'il prétendait être.

- Vous ne manquez pas d'air, Monsieur Entreri. Vous passeriez pas la fenêtre pour avoir le simple plaisir de vivre cet évènement? Vous devez certainement être l'invité le plus zélé de cette nuit... elle marqua un temps, soutenant son regard, Ou alors, vous ne venez pas uniquement pour manger des petits fours et danser.

Un silence s'installa avant qu'elle ne conclut

- Très bien, profitez-donc de ces festivités. J'espère que la compagnie ne vous dérange point car vous risquez d'être suivi jusqu'aux commodités.

Elle se leva. A quoi pouvait bien servir ces entrevues puisqu'elle ne pouvait pas envoyer les assassins présumés croupir dans les geôles? Mais les ordres étaient les ordres.

- Vous m'excuserez de ne pas vous raccompagner mais j'ai à faire. Oh et ne vous avisez pas de toucher à un seul cheveu royal.

Elle afficha un sourire de circonstance, voilant à peine ce fond de menace qu'elle faisait planer. Ce n'était pas parce qu'elle avait des ordres qu'elle n'en protégerait pas moins le Prince.